#Edito

Un très waste sujet

#Edito

« On gagne ensemble, on perd ensemble ». En théorie. Dans la pratique, et encore plus dans la transformation sociétale – et donc forcément écologique, l’adage prisé et galvaudé des coachs (et pas que sportifs) en mal d’inspiration créative est (trop) largement dénaturé par le biais culturel et cognitif du renvoi de balle. « C’est pas moi, c’est l’autre. » Ou dans une autre version « c’est d’abord de sa faute, pas de la mienne. » Au-delà des maux profonds engendrés entre autres par sa politisation partisane, sa dualité sociale et un débat intellectuel public indigne de l’enjeu et de l’urgence, si l’écologie peine à s’immiscer réellement dans les usages et comportements des Français c’est aussi parce que chaque acteur concerné remet la première responsabilité sur l’autre : le citoyen, la collectivité, l’État, les entreprises, les associations…  Enraciné comme un chêne périgourdin, le mal est exacerbé quand il s’agit des déchets. On touche même sur ce sujet au paroxysme de l’individualisme, de l’hypocrisie et parfois même du j’m’en-foutisme. Je m’explique.   Plus de bio-déchets dans les « poubelles noires » Dans le cadre de sa toute récente mobilisation citoyenne « Consignez moi », l’association Zéro Waste France (ZWF) interpelle les industriels, la grande distribution et les pouvoirs publics sur la nécessité du retour à la consigne pour le réemploi. On ne peut qu’applaudir, en rappelant que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. Pas qu’on recycle ou qu’on réutilise. Le timing choisi par ZWF n’est pas anodin puisque le gouvernement organise une concertation sur la consigne des emballages, sans cacher sa préférence pour les bouteilles en plastique. Une fausse-bonne mesure environnementale de compromis pour ne froisser personne, et surtout pas le puissant lobbying à la genèse du démantèlement des filières de consigne il y a plusieurs décennies.  Encore très peu mise en place dans les magasins, la consigne est plébiscitée par les Français, qui a contrario délaissent le vrac et peinent grandement à délester leurs ordures ménagères des bio-déchets. Pourtant dès le 1er janvier 2025, cela ne sera plus autorisé. Mieux vaut prévenir que guérir mais quand la perspective est énoncée aux oubliés du compostage, la réponse fuse : « la collectivité ne nous donne pas les moyens. » L’argument est factuellement bien souvent vrai. Le saviez-vous également,  l’interdiction vaut déjà depuis le 1er janvier 2023 pour les restaurants produisant plus 1100 litres de déchets par semaine.   On assume ensemble, on se bouge ensemble Visiblement, sept ans après le vote de la loi, encore énormément de restaurateurs ne sont pas au courant ou quand ils le sont rétorquent : « la collectivité n’a qu’à faire ce qu’il faut. » Le hic – et je parle d’expérience, est que les collectivités renvoient quasi systématiquement la balle aux syndicats mixtes qui assument la collecte et gestion des déchets ; que les mêmes syndicats sont contraints de fortement augmenter leurs taxes provoquant l’ire des citoyens, qui ne veulent pas payer plus leurs déchets ; ces mêmes citoyens sont accusés par les élus territoriaux de tout le temps râler et d’être imperméables aux campagnes de sensibilisation. Pendant ce temps là, l’État surestime sa capacité à contrôler efficacement le respect de l’application de ses lois et laisse le champ libre à la fronde, de bonne ou de mauvaise foi. Bref, c’est le grand bazar. La faillite est collective. Mais elle n’est pas assumée collectivement, c’est bien le problème.  Sur les déchets, le monde de demain reste un livre sur l’étagère qu’on aime bien feuilleter pour ne pas avoir l’air trop à la ramasse dans un dîner. Je voudrais bien vous dire que toute la philosophie derrière la démarche de zéro déchet permet de repenser son mode de consommation pour le plus grand intérêt général. De revoir son rapport au temps pour le rendre plus sain. Qu’il peut se faire dans la joie et l’émulation. Que la contrainte initiatique n’est pas si lourde. Tout cela est vrai. Mais vous vendre le couplet de l’écologie heureuse sur nos poubelles serait malhonnête. Parce que personne ne joue vraiment le jeu selon les vraies règles. Critiquer l’autre permet de ne pas faire ce qu’il faut sans s’auto-flageller. Le changement commence par soi-même. Le nouvel imaginaire sera collectif ou ne sera pas. On assume ensemble, on se bouge ensemble.