#Créativité

La méditation se transforme en sport et devient quantifiable

La méditation se transforme en sport et devient quantifiable

On pensait que méditer consistait à fermer les yeux, respirer et laisser la vie passer. C’était oublier l’époque : désormais, même le silence doit être mesuré, quantifié, mis en compétition. À Tokyo, un événement signé World Meditation League et All Here a transformé une pratique millénaire en un spectacle techno-spirituel où l’on commente le vide intérieur comme un match de tennis.

Par Eric Espinosa

ODD N°3 : bonne santé et bien être

 

Il fallait oser : faire sortir la méditation de sa réputation d’activité calme, lente, personnelle, pour en faire un show scientifiquement monitoré où les cerveaux deviennent des tableaux de bord. C’est pourtant ce qui s’est produit au Japon dans le jardin Happo-en. Organisé par La Ligue Mondiale de la Méditation, l'événement a dévoilé le « premier défi de méditation quantifiée ». Comprendre : des gens assis en tailleur, avec leurs pensées et leur électroencéphalogramme projeté en 4K devant un public.

C'est donc officiel : le silence intérieur devient une performance. On ne médite plus, on score. On n’atteint plus la paix, on grimpe un indice. On ne cherche plus la clarté mentale, on vise un QM3™, une sorte de podium de la tranquillité.


 

 

La médiation devient une compétition…

Pour accompagner cette révolution, l’architecte star Kengo Kuma a présenté Zenbu Koko, une capsule immersive conçue comme un voyage du bois terrestre jusqu’aux vides cosmiques. Une sorte de fusée introspective où le méditant, équipé de technologies haptiques et de réalité étendue, traverse son moi, la stratosphère et probablement un trou noir existentiel. On pourrait sourire de tant de lyrisme, mais il faut reconnaître à Kuma l’audace d’assumer que l’intériorité, aujourd’hui, doit être spectaculaire pour exister.

Parmi les participants au défi, à savoir Oana Budicastancu, Hisami Tsurumori et Yu Mizuno, c'est Mme Tsurumori qui a obtenu le score QM3™ le plus élevé. « J'ai commencé la méditation à cause d'une maladie il y a près de vingt ans et je pratiqué tous les jours depuis », a-t-elle expliqué lors d’une conférence de presse. « Si vous vous sentez tendu et anxieux dans la vie, j'espère que la méditation vous apportera la paix intérieure comme elle l'a fait pour moi. »

https://www.youtube.com/watch?time_continue=50&v=HmEGX0_Dh9U&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.wml.org%2F&embeds_referring_origin=https%3A%2F%2Fwww.wml.org&source_ve_path=MjM4NTE

La Zenbu Koko

 

L'événement a culminé avec le défi QM3™ : trois minutes durant lesquelles les participants tentent d’être plus silencieux les uns que les autres. Les commentateurs, habitués aux exploits sportifs, se sont donc mis à analyser la stabilité mentale comme on analyserait un revers lifté. La méditation n’a jamais été aussi objectivable : attention, conscience de soi, silence intérieur, tout y passe. C’est fascinant et légèrement vertigineux, comme si l’humain ne pouvait plus rien vivre sans un graphique pour le valider.

 

Un narratif bien huilé

Mesurer pour mieux comprendre, quantifier pour démocratiser, objectiver pour inspirer. Mais derrière ce vernis scientifique, une question affleure : a-t-on besoin de scorer son vide pour qu’il soit légitime ? Cette obsession contemporaine de rendre visible l’invisible dit quelque chose de notre époque – une époque où même se recentrer doit devenir une performance observable, reproductible, monétisable.

La suite du programme a déroulé ce nouveau monde où l’on évoque ikigai, surcharge informationnelle, intelligence artificielle et villes méditatives. Le tout dans un discours où la méditation n’est plus une ressource intime, mais un outil d’optimisation personnelle qui trouverait bientôt sa place dans des compétitions internationales.

Au terme de la soirée, la promesse est lancée : la méditation entre dans son ère technologique, une ère où elle se mesure, se compare, se commente. Une ère qui soulève un doute, peut-être le plus important : dans notre quête de performance absolue, allons-nous finir par perdre ce que la méditation avait de plus précieux — la possibilité de ne rien faire, pour personne, juste pour soi…