Avec 8000 festivals organisés chaque année sur son sol, la France est de très loin le leader européen des manifestations musicales. L’Italie, deuxième au classement, en accueille 2000. Comment expliquer ce phénomène ? En partie par le soutien de l’État et des collectivités territoriales. Alors que leur santé économique chancelante inquiète les organisateurs, sans forcément encore calmer leurs ardeurs, la relation cruciale entre les festivals et les villes et leurs agglomérations traverse forcément une période introspective. Il faut repenser un modèle. Le sujet est assez important pour que le MIDEM lui réserve, fin janvier une conférence. GOODD y était et vous explique.
Par Benjamin Adler
« Un festival doit avoir un impact social, culturel et économique sur son territoire. » Jérome Tréhorel sait de quoi il parle. Les Vieilles Charrues, le festival qu’il dirige assure 15 millions d’euros de retombées pour la Bretagne et fournit 6 millions en création de richesses pour sa ville, Carhaix-Plouguer. Quand il s’agit de créer un partenariat pérenne et juste avec les collectivités territoriales, l’argument économique pèse. Mais il ne peut pas faire chantage. Pour David Lisnard, le maire de Cannes, dont la culture constitue le premier budget de la ville « malgré son importance, on ne peut pas imposer des décisions qui impliquent de l’argent public sans en avoir reçu mandat. Un élu doit se sentir dépositaire du festival »
Sous-entendu, si le raout n’est pas dans la feuille du candidat élu, alors le seul fait qu’il existe ne suffit pas à justifier le soutien de la commune. « Un festival doit arriver à démontrer son impact d’intérêt général qui justifie l’investissement. Il doit s’intégrer dans le tissu social et économique », ajoute l’édile cannois. « Un maire n’est pas un organisateur magique. Il est là pour accompagner en essayant de faire respecter les règles, mais aussi de faire en sorte qu’elles soient pertinentes », prolonge Frédéric Leturque, maire d’Arras, qui, chaque été, accueille le Main Square Festival, organisé par Live Nation *.
« Depuis quelques années les exemples de guéguerres entre festival et mairie ou agglomération se multiplient. »
Rapport au temps et mille-feuilles administratif au parloir
Pour penser le festival de demain, les organisateurs ont besoin des collectivités. « Nous ne pouvons pas le faire sans elle », confirme Jérôme Tréhorel. Dans la longue liste des leviers à activer pour promouvoir le nouveau récit des festivals, il y a évidemment les infrastructures. « Depuis 10 ans, l’enjeu premier pour toutes les manifestations musicales est la pérennisation du lieu », énonce le DG des Vieilles Charrues. Pourtant, depuis quelques années les exemples de guéguerres entre festival et mairie ou agglomération se multiplient. À commencer par le Hellfest avec Clisson. Ben Barbaut, fondateur et directeur général, menaçait en novembre dernier de quitter le territoire. La raison ? la répartition de la charge du financement de travaux d’assainissement.
« Nous, nous ne sommes plus en zone agricole et ce changement de qualification dans le PLU a des implications sur la nouvelle capacité de créer des endroits qui restent sur site avant et après le festival. Le Hellfest possède un univers esthétique très fort, on a besoin d’espaces et de constructions qui l’incarnent et le relaient. Sans les collectivités, il est compliqué de renforcer l’attractivité à l’année. Mais leur temps de décision n’est pas le nôtre, c’est un écueil », confie. Ben Barbaut. L’autre écueil, c’est le fameux mille-feuilles administratif.
« Entre la baisse des subventions (des départements et des villes), celle du pouvoir d’achat et la hausse de l’inflation, il faut s’attendre à des difficultés », prévient Jérôme Tréhorel. »
Rassurer le territoire, un enjeu majeur
« Nous sommes les premiers à le subir, notamment par les injonctions contradictoires des agences. Nous sommes victimes d’un harcèlement textuel », assume David Lisnard. Sur ce frein, le président de l’association des maires de France renvoie l’État à ses responsabilités.
Autre obstacle et pas des moindres, « la réelle nécessité de repenser les modèles économiques des festivals », pointe le maire d’Arras. « Mais ce n’est pas notre métier, ni notre rôle. »
« Entre la baisse des subventions (des départements et des villes), celle du pouvoir d’achat et la hausse de l’inflation, il faut s’attendre à des difficultés », prévient Jérôme Tréhorel. Dans ce contexte, conforter une relation de confiance sera primordial. « Notre intérêt est de favoriser la capacité de faire. Le territoire doit avoir envie et pour cela doit être rassuré », explique Frédéric Leturque. Il conclut en livrant ses trois commandements pour fluidifier la relation festival-ville. « Primo créer un écosystème qui fait que les élus du territoire adhèrent au projet. Secundo, faire que la culture fasse partie du projet éducatif, économique et social du territoire. Tertio, s’affranchir de la défiance envers le modèle public-privé, en se bordant juridiquement pour éviter les dérives. »