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Vie en entreprise : le mouvement intergénérationnel n’est pas une révolte mais une révolution

Vie en entreprise : le mouvement intergénérationnel n’est pas une révolte mais une révolution

Et si la clé du futur des entreprises n’était pas l’innovation technologique, mais l’innovation humaine ? Dans un monde du travail fragmenté par les crises, les générations se croisent souvent sans vraiment se comprendre. Pourtant, derrière les clichés du “jeune trop pressé” et du “senior dépassé”, se joue une dynamique décisive : celle de la coopération intergénérationnelle. Une conviction défendue avec convictions par Caroline Sarrot Lecarpentier, experte en dynamiques collectives et Claire Bône, productrice et créatrice du podcast Encore qui donne la parole aux anciens. goodd s’est penché sur un phénomène qui ne peut laisser notre regard indifférent.

Par Benjamin Adler

ODD N°8 : travail décent et croissance économique

 

D’un choc des générations à une chaîne de valeur humaine

Et si après le choc des générations nos sociétés accouchaient d’une nouvelle chaîne de valeur humaine ? Pendant longtemps, l’entreprise a organisé ses équipes selon un modèle vertical : les anciens transmettent, quand on leur donne le temps, et les jeunes apprennent. Un modèle qui peut être considéré comme dépassé. Car dans des organisations plus horizontales et hybrides, l’intelligence intergénérationnelle devient un capital stratégique, capable de fluidifier les coopérations, d’augmenter la créativité et de retisser du sens. “ Il faut éveiller la société sur ce sujet. C’est un vrai mouvement de fond qu’il ne faut pas sous-estimer. Il faut que tout le monde se mette autour de la table pour trouver des solutions ensemble et faire en sorte que cette dynamique intergénérationnelle trouve sa place dans nos institutions et nos entreprises” explique avec convictions Caroline Sarrot Lecarpentier qui plaide pour un renversement de regard : considérer chaque génération non comme une catégorie sociologique, mais comme une énergie culturelle. 

Les plus jeunes questionnent le “pourquoi”, les plus expérimentés incarnent le “comment”. Entre les deux, il y a un espace de dialogue à réinventer, celui de la co-construction des modèles de travail.

 

Le lien comme moteur de performance

C’est là qu’intervient le rôle du dialogue — un art que Claire Bône cultive dans ses podcasts comme dans sa pratique de la conversation professionnelle. Sa voix, à la fois bienveillante et lucide, révèle ce que beaucoup d’entreprises ont oublié : “ L’écoute n’est pas une perte de temps, mais un acte de management. Il y a des personnes qui dépassé les cinquante ans disent qu’elles ont envie d’être visibles mais à leur manière. J’ai l’exemple d’une professionnelle de 65 ans qui n’a jamais eu d’enfants et que l’on appelle la “ grand-mère” sur son lieu de travail. Et on se rencontre avec ce type d’anecdote qu’il y a une autoroute à déconstruire pour faire évoluer les choses”. Et Caroline de rajouter : dans l’imagerie populaire, les vieilles méchantes sorcières sont moches. Et ce qu’elles veulent c’est avant tout récupérer de la jeunesse et la beauté. Tu l’as dans la Belle au bois dormant, dans Cendrillon, Blanche-Neige et j’en passe. Alors que les vieux moches tel le Capitaine Crochet, ils ne veulent pas de la jeunesse mais du pouvoir. Donc on distille tranquillement que vieillir pour les femmes, c’est moche…”.

Les deux femmes partagent une intuition forte : dans un monde saturé d’informations, la transmission ne passe plus seulement par le savoir, mais par le lien. La jeunesse en quête de sens peut apprendre la résilience d’un senior ; un manager expérimenté peut s’inspirer de la créativité sans filtre d’un junior. C’est dans cette friction constructive que naît la confiance collective, voire un nouveau modèle économique.

Pour Claire Bône et Caroline Sarrot-Lecarpentier, l'intergénérationnel est un mouvement de fond qui doit redéfinir notre société et nos entreprises.

 

Vers un ecosystème des générations

Plutôt que d’opposer, Caroline Sarrot Lecarpentier défend un écosystème vivant où chaque âge, chaque expérience, chaque fragilité trouve sa place et son utilité. Cette vision dépasse la simple inclusion pour proposer une économie du cadre organisationnel — un modèle où la coopération remplace la compétition, et où la reconnaissance mutuelle devient un levier de performance durable.

Cette approche résonne dans un contexte de mutation profonde du travail : départ massif des baby-boomers, quête de sens des jeunes actifs, hybridation des parcours. L’entreprise, autrefois lieu de transmission verticale, peut redevenir un laboratoire qui relie, un lieu où s’inventent de nouvelles formes de solidarité entre âges.

 

Deux voix pour un même élan

Caroline et Claire, qui sont aussi les cofondatrices de l’évènement Vivagen ou comment vivre l’entreprise intergénérationnelle, partagent une même conviction : l’avenir du travail se jouera dans la capacité à reconnecter les générations, non à les opposer. L’une structure la pensée et les modèles d’action ; L’autre donne à entendre les voix qui la constituent. Ensemble, elles forment une partition rare, à la croisée de la stratégie et de la sensibilité.“ Surtout il faut faire attention à l’attentisme face aux grands changements que présente, par exemple, les nouvelles technologies. C’est un exemple qui permet justement d’évoluer au sein d’une entreprise et faire changer les mentalités” rajoute Claire Bône.

Et si l’entreprise de demain n’était pas celle qui recrute les talents les plus jeunes, ni celle qui retient les plus anciens, mais celle qui fait circuler la confiance d’une génération à l’autre ? Une idée simple, presque révolutionnaire — et terriblement humaine. “ Certains de mes étudiants de 23 ans me disent qu’ils sont gênants pour des gamins de 17 !” précise Caroline SL. Moralité, on est toujours le vieux d’un autre. Il est peut-être là tilt pour accepter l’intergénérationnalité…