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Urbanisme : « Toutes les architectures ne sont pas prêtes à affronter les défis climatiques, les architectes eux le sont »

La ville est en plein chantier et tente de s’adapter aux enjeux climatiques à venir. Face à un urbanisme en plein schisme, Antoine Aubinais, directeur générale de l’agence d’architecture Bellastock et président de CAAP* revient sur la pensée et la transformation de nos cités et le travail collectif qui doit être mené par la société. 

 

goodd : vous pensez l'architecture comme une œuvre expérimentale qui
valorise les lieux et leurs ressources. Concrètement, ça donne quoi ?

Antoine Aubinais : c'est une approche qui privilégie les ressources locales pour imaginer des projets. Il s'appuie à la fois sur les matériaux d'un territoire et sur les personnes qui y vivent. Pour les matériaux, nous constatons que chaque région a sa typologie de matériaux, d'architecture et que l'homogénéisation récente de la construction est néfaste pour les filières locales et pour les savoir-faire de nos territoires. Utiliser des matériaux biosourcés localement ou en réemployer, c'est également relocaliser l'économie autour de la construction sur un territoire donné.

Pour les ressources dites habitantes, c'est engager une population sur les questions d'aménagements et d'espaces collectifs pour leur offrir la possibilité d'appartenir à un lieu et créer du lien social. Dans ces deux cas, un diagnostic en amont, de la matière disponible et de la structure locale, permet de mieux définir les grandes lignes du projet d'aménagement et de produire un projet plus ancré tout en favorisant l'appartenance à une territoire.

 

 

L'objectif était de faire la ville sur la ville en développant des filières localement pour stimuler l'économie du territoire.

 

goodd : l'architecture est-elle prête à affronter les défis climatiques à venir ?

A.A : toutes les architectures ne sont pas prêtes à affronter les défis climatiques, les architectes eux le sont. Aujourd'hui, la nouvelle génération d'architectes est en demande de modules pédagogiques sur le sujet, le réseau des enseignants engagés pour la transition écologique, l’ENSAeco, se structure et partage les bonnes pratiques écologiques et pédagogiques. Il y a aussi ENSA en lutte qui réunit des étudiants en architecture de toutes les écoles françaises, et qui questionne la place de l'écologie dans les écoles. C'est un bon indicateur d'une profession qui a décidé de s'emparer du sujet. 


goodd : Bellastock est reconnu pour ses projets de "ville éphémères". Quel impact sociétal pour ce type de construction ?

A.A : l'impact n'est pas direct, il se mesure dans le temps.
Les architectes, designers, paysagistes et créatifs qui participent à cette expérience découvrent trois notions clés :

  • Construire et déconstruire, ou comment intégrer la seconde vie des matériaux quand on crée un bâtiment, un objet. Il oblige le concepteur à réfléchir à la démontabilité et à la réversibilité de sa création. Dans la cadre d'une déconstruction, il lui pose également la question de l'impact écologique des matériaux qu'il a utilisés une première fois. 
  • Transformer le projet avec l'usager, ou comment accueillir ses réflexions, remarques et volontés dans un projet, en l'occurrence eux lors de cette expérience. Ils transforment leurs habitats et lieux collectifs au fil de l'expérience. Pourquoi demain, en tant qu'architecte, ils ne seraient pas capables d'accueillir l'avis des habitants pour coconstruire des espaces et des lieux ?
  • Imaginer un projet c'est construire du lien, ou comment cette ville éphémère construite collectivement s'inaugure, se fête et se partage. Les 3 jours de chantier, à imaginer un projet, le construire et partager des moments conviviaux créent un lien fort entre les participants. Demain ils auront les clés pour imaginer les étapes d'un projet que l'on partage et qui lie une population.

Pour conclure, nous ne mesurons qu'aujourd'hui l'impact de ce projet car ceux qui étaient participants il y a 10, 15 ans sont aujourd'hui à la tête d'agence ou enseignants dans des écoles. Ces expériences collectives, que sont les villes éphémères, ont profondément marqué leur pratique et leur vision de l'architecture, la rendant plus écologique et sociale.

 


goodd : vous défendez la vision d'un urbanisme de transition avec une notion de métabolisme urbain. Ça donne quoi en pratique ?

A.A : en pratique, c'est envisager la ville comme un organisme et tirer parti au mieux des mécaniques et flux sur un territoire. Le mieux pour découvrir cette idée reste de lire Sabine Barles qui a beaucoup développé cette notion. Bellastock a abordé ce sujet sous le prisme du réemploi et de la synergie entre chantier de déconstruction et construction sur le territoire de Plaines communes. L'objectif était de diagnostiquer 30 sites de déconstruction, dits « émetteurs », d’analyser les filières présentes sur l'agglomération et d’anticiper les besoins en matière de projet de construction, dit « récepteur ». L’idée étant de faire la ville sur la ville en développant des filières localement pour stimuler l'économie du territoire.

 


goodd : vous prônez aussi le concept de " ville sensible ". Quelle est sa mission ?

A.A : sa mission vise à offrir une lecture de la ville qui soit autre que financière et fonctionnelle, c'est avant tout un lieu partagé qui devrait permettre à un citoyen de s'émanciper et de créer du lien. La ville sensible, ce sont juste des outils et méthodes pour voir la ville autrement et collectivement.

 


goodd : estimez-vous que l'urbanisme et les projets en devenir sont en phase avec les enjeux climatiques ? Sommes-nous préparés à ce qui nous attend ?

A.A : les projets urbains pour lesquels nous travaillons ne sont pas toujours en phase avec les enjeux climatiques, ils sont plus spéculatifs que prospectifs. Pour rester optimiste malgré tout, il y a énormément de projets urbains où les initiatives citoyennes ont démontré leurs grandes valeurs d'adaptation et de résilience jusqu'aux écovillages ou ZAD, où inventer de nouvelles manières de vivre ensemble en minimisant l'impact humain sur un territoire.


goodd : dans un monde parfait, que feriez-vous pour transformer le pays et doter les humains d'infrastructures et d'habitations adaptées aux futures conditions climatiques ?

A.A : dans un monde parfait nous ré-investirions les champs du local, nous construirions avec des matériaux locaux et renouvelables, nous activerions des savoir-faire centenaires tout en impliquant les citoyens dans la vie de leur quartier. Nous ne décourageons pas de valoriser les lieux et leur ressource pour tendre vers ce futur désirable et durable.

Écrit par

Gaël Clouzard

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*CAAPP, Centre Art Architecture Paysage à découvrir ici