#Sciences Humaines

Sport et Écologie : « communiquer sur ses actions écologiques ne doit pas dire donner des leçons à qui que ce soit »

Vainqueur de la Challenge Cup européenne en 2022, le Lyon Olympique Universitaire Rugby s’est installé comme un club respecté de l’Ovalie continentale. Mais le club lyonnais ne se contente pas d’être performant sur les pelouses de Top 14 – qui rappelons-le seront interdites de produits phytopharmaceutiques à partir du 1er janvier 2025, il l’est également dans ses engagements environnementaux. Pas étonnant pour un club qui a participé au programme de la Convention des Entreprises pour le Climat. Pas surprenant peut-être, mais très certainement détonnant. Entretien avec le président du LOU, Yann Roubert.  

Le 8 septembre 2023, les Bleus d’Antoine Dupont recevront les All Blacks au Stade de France en match d’ouverture de la Coupe du Monde de Rugby. Évidemment la performance et le divertissement monopoliseront l’attention médiatique pendant plus d’un mois. Comme à chaque grande compétition sportive internationale depuis que cette industrie a décidé de n’en faire rien d’autre. C’est-à-dire depuis… toujours.  Pourtant en France, malgré les graves problèmes de gouvernance à la Fédération et au Comité d’Organisation, la plupart des clubs se bougent pour monter en compétence environnementale. Et enfin assumer leur rôle d’influenceur au service du nouveau récit. Dans le paysage des modèles à suivre, le LOU Rugby sort la tête de la mêlée.  Avec son programme d’engagement écologique LOU Green, le club de Lyon s’est fixé comme objectifs de réduire la consommation plastique et énergétique ; de lutter contre le gaspillage (notamment alimentaire) ; d’optimiser les déchets à travers le tri, le recyclage et éviter les pollutions induites ; et enfin de sensibiliser et entraîner ses communautés dans des actions environnementales. Forcément, Goodd a eu envie d’en savoir plus.

 « Le défi est de rendre compatible le combat pour un rugby plus durable avec les enjeux de performance »

 

goodd : le rugby français en est où aujourd’hui dans ses engagements environnementaux à quelques mois de la Coupe du Monde ? Sommes-nous en avance ou en retard et aurons-nous des parangons pour montrer en exemple au monde du rugby à l’automne prochain ?

Yann Roubert : chacun des clubs professionnels essaye d’être exemplaire à son niveau, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont parfaits. Il y a des initiatives partout, non seulement environnementales mais aussi sur l’inclusion, l’accueil, le respect, la tolérance. Il va y avoir en effet un gros focus sur le rugby en automne prochain avec la Coupe du Monde et les dimensions environnementales ont été prises en compte. Il reste encore beaucoup de boulot car le rugby forcément génère des déplacements, entre les clubs et les supporters, donc des sources conséquentes d’émissions carbone.   

 

goodd : vous dites qu’il y a encore du boulot. Justement, est-ce que le « tu sais c’est compliqué de changer » est encore légitime ou est-ce principalement une excuse culturelle ? 

YR : nous sommes dans des environnements contraints mais à l’image de l’énorme majorité des acteurs économiques qui doivent faire mieux sur ces aspects-là, nous devons aussi continuer à avancer pour essayer d’avoir un modèle soutenable. Par essence, tant qu’on voudra des France-Nouvelle-Zélande, il faudra un déplacement par avion des équipes et des supporters désireux d’assister au match. Il existe donc des contraintes et des invariants qu’on ne peut pas changer mais sur lesquels, par contre, nous essayons de nous adapter. En revanche, là où on peut agir avec beaucoup de liberté, c’est sur nos achats.  Dans notre bilan carbone, ils représentent un tiers de nos émissions - cela comprend aussi nos partenaires. Après, sur la mobilité, nous faisons déjà des efforts. Quand on se déplace en France, on prend le train lorsque c’est une option faisable. Le défi est de rendre compatible le combat pour un rugby plus durable avec les enjeux de performance. Aller à Paris en train reste simple et ça ne fera rater de plaquage à personne. Mais rentrer de Pau en bus le dimanche soir et rouler toute la nuit, là c’est par contre néfaste pour la récupération. C'est là que je reconnais nos paradoxes et qu'il faut essayer de trouver le juste milieu.    

« Communiquer sur ses actions écologiques ne doit pas dire donner des leçons à qui que ce soit »

 

goodd : une fois que ces changements structurels sont mis en place, comment les explique-t-on pour enclencher le changement culturel tout autant nécessaire ? Quels sont aujourd’hui les freins et leviers pour un club professionnel de rugby ? 

YR : excellente question. Au départ, quand nous avons lancé « LOU Green », qui abrite nos actions de club plus responsable, nous ne communiquions pas dessus car je ne voulais pas que nous soyons accusés de greenwashing et qu’on doute de notre sincérité. Mais mes équipes m’ont convaincu de changer d’avis, en estimant que si en tant que club on peut avoir une influence sur notre communauté ( partenaires, fans, joueurs…), alors il faut montrer publiquement nos engagements pour un rugby plus durable et plus respectueux de la planète. Par exemple, la prochaine rencontre Lyon-Perpignan à domicile sera le match « Pour un rugby plus durable » avec des actions positives sur la mobilité. Nous aurons sur le parvis du stade un atelier de réparation de vélo, des avantages avec notre partenaire Dott comme des codes pour les trottinettes, de la collecte de matériel sportif, et également une friperie. Bref, tout un panel d’actions qui peuvent donner des idées aux personnes qui suivent le club.   

 

goodd : donc vous considérez aujourd’hui qu’un club de rugby de Top 14 a cette responsabilité et doit considérer qu’il est un point contact pour porter de nouveaux imaginaires ? Pour ne pas être taxé de greenwashing et être vraiment influent, le changement structurel doit forcément être le plus sincère possible. Mais qui nourrit l’autre selon vous ?

YR : l’un doit entraîner l’autre ! On a longtemps dit que le rugby était une école de vie, que ce soit en amateur ou au plus haut niveau professionnel. Cette notion d'éducation est ancrée dans notre identité culturelle. Nous avons la chance d’avoir des clubs qui touchent beaucoup de monde et des communautés très diverses. Il faut en profiter et en effet, pour que le discours soit audible, il faut avoir valeur d'exemple. Communiquer sur ses actions écologiques ne doit pas dire donner des leçons à qui que ce soit, parce que nous avons aussi des échecs. En l'occurrence notre bilan carbone est lourd. On ne cache pas ces chiffres, l'idée étant de dire : « Nous ne sommes pas parfaits. Malgré nos paradoxes et nos contraintes nous essayons d'être un peu moins imparfaits ». Il faut que chacun apporte sa pierre à l'édifice et c'est le message qu'on essaie de véhiculer. Sur les aspects où le LOU arrive à faire un peu mieux que d’autres, et bien le club met en avant ses engagements sans cacher le fait qu’il nous reste des difficultés et que comme tout un chacun, nous avons nos propres paradoxes en interne.  

 « En sport, la notoriété publique ne s'acquiert pas encore simplement par l'engagement écologique »

 

goodd : aujourd'hui la culture populaire est influencée par le sport, les séries et la musique. Ce sont trois industries de divertissement. Pourquoi est-ce si difficile pour le sport comme pour les deux autres de ne pas faire le boulot en prenant en compte l'urgence du nouveau récit ?

YR : malheureusement, je crains que ce soit parce que l'homme est humain et qu’on aura du mal à changer cela ! À l'image de ces trois secteurs, il y a des intérêts divergents et ceux en faveur de la planète ne rejoignent pas tout le temps les attentes des organisations ou même des individus qui composent notre société. Je pense que personne n'est évidemment contre le fait de faire mieux d'un point de vue environnemental, mais tout le monde va dire « oui mais j’ai des contraintes, des empêchements… ». Si par exemple on veut arrêter complètement l’utilisation du plastique, cela veut dire ne plus vendre de bouteilles d'eau donc renoncer à une partie du chiffre d'affaires lié aux ventes de bouteilles d'eau minérale. C'est un cap qu'il faut franchir et c'est là où il faut qu'on arrive à déplacer le curseur afin de faire comprendre que c’est l'intérêt collectif qui est en jeu. Au global, l'intérêt de chacun des individus rejoint celui de la planète, c’est une évidence. Mais c'est dur à faire comprendre et c'est dur pour chacun de renoncer à ses petits avantages.   

 

goodd : comment peut-on décorréler la légitimité et l'influence des engagements environnementaux de la performance sportive ? L’idée que moins un club est performant, moins il est audible aux yeux de ses fans est-elle encore vraie ?  

YR : l'engagement doit vivre quel que soit le niveau de l'équipe. Néanmoins, c'est évident que l’impact sera plus gros si l'équipe marche bien. Pour notre brasserie, notre hôtel, notre billetterie, le meilleur marketing qu'on puisse leur faire est de gagner des matchs et de bien jouer au rugby.  Si Nikola Karabatic jouait en 2e division de handball, son engagement public n’aurait pas le même impact. Idem pour Novak Djokovic. C'est pour cela que nous avons besoin d'ambassadeurs de forte notoriété, qui ont réussi dans leur sport et qui s'engagent pour l'environnement. En sport, la notoriété publique ne s'acquiert pas encore simplement par l'engagement écologique. Il a besoin d'être légitimé par des résultats sportifs. Dans ce sens, l'un doit accompagner l'autre.  

 

Écrit par

Benjamin Adler

ODD N°13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques