#Sciences Humaines

Management de transition : « L’environnement doit faire partie du package de base de connaissance d’un dirigeant. »

Du management de transition au management de transition écologique n’y a-t-il qu’un pas ? Comment cette expertise peut-elle aider les entreprises et les professionnels à non pas engager mais gérer leur transition écologique ? Stéphane Brédiger, conseiller stratégique, manager de transition et parmi les premiers participants de la Convention des Entreprises pour le Climat explique à goodd l’importance de ce type d’experts pour les entreprises

 

Par Gaël Clouzard

ODD N°13 : mesures relatives à la lutte contre le changement climatique

ODD N°17 : partenariats pour la réalisation des objectifs


 

goodd : pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un manager de transition (MT) ?

Stéphane Brediger : Le rôle du MT est de palier à un manque opérationnel ponctuel dans une entreprise. Il occupe une fonction de l’organigramme et remplace sur un temps donné un dirigeant. Cela peut arriver lorsque le dirigeant est défaillant (problème de santé, départ inopiné) ou lorsque l’entreprise connait un changement notable, comme la création d’une nouvelle activité, un retournement de marché, une fusion acquisition. Le MT peut être spécialiste (DRH, DAF, DSI) ou généraliste (DG, directeur de BU). Il peut également être très expérimenté dans une industrie en particulier ou sur une typologie de structure. A la différence d’un consultant stratégique, il n’est pas uniquement dans le conseil, mais occupe des fonctions très opérationnelles au cœur de l’entreprise. 

 

goodd : faut-il avoir un cursus particulier ?

SB : Non il n’y a pas de cursus particulier pour être MT. Ce qui compte, c’est sa capacité à embarquer rapidement sur des projets, dans des environnements, des entreprises et avec des équipes qu’il ne connait pas. C’est l’expérience, les aptitudes et le vécu qui priment : on ne devient pas MT en sortant de l’école, mais plutôt après avoir été confronté pendant plusieurs années aux réalités de l’entreprise. Être MT c’est avant tout un mindset : être curieux, ne pas craindre le changement, savoir se concentrer sur les solutions à mettre en œuvre. 

 

goodd : quel rôle le MT peut-il jouer dans la transition écologique et sociale des entreprises ?

SB : Il a un rôle fondamental. Il peut être sollicité pour des missions d’accompagnement à la transition écologique. Certains managers en sont experts : ils accompagnent des entreprises sur la mise en place de leur feuille de route ou sur des problématiques ciblées. Par exemple, en ce moment, il y a une grosse demande d’accompagnement sur des sujets liés à la CSRD*. 

Même s’il n’est pas expert sur ces sujets, il peut, je dirai même qu’il doit, intégrer cette dimension d’impact social et environnemental dans son management, tout en respectant les missions qui lui sont confiées. Les enjeux environnementaux et sociétaux auxquels sont confrontés les entreprises sont nombreux et du plus en plus prégnants. 

Ce n’est plus une affaire d’expert, mais de management stratégique en général.  A titre personnel par exemple, j’ai travaillé sur plusieurs missions de direction générale ou de direction de projets qui n’avaient pas toutes un rapport direct avec la transition écologique des entreprises. Tout en jouant mon rôle de manager « classique », j’ai systématiquement entrepris mes actions au prisme de leur impact sur l’Homme et sur l’Environnement. 

 

 

« La peur du changement est l’immobilisme ! On n’ose pas modifier sa manière de faire, de peur de perdre des parts de marché, de dégrader sa marge. »

 


goodd : il y a donc une opportunité concrète à travailler avec ce type de manager ?

SB : l’action d’un MT est une réelle opportunité pour la transition d’une entreprise : il arrive avec une mission définie, mais aussi avec une vision et des idées neuves, il peut challenger des pratiques « business as usual » pour les faire évoluer vers des modes de fonctionnement plus vertueux. 

Bref un MT peut être un « game changer » ou pratiquer l’homéopathie mais il a certainement un rôle à jouer pour questionner les pratiques en place et instiller les notions d’impact social en environnemental dans les modèles d’entreprise. 


goodd : vous avez participé à la CEC, la Convention des Entreprises pour le Climat. Ii a été abordé, lors de la session lyonnaise, l’idée d’un nouveau métier nommé le MTE : Le manager de Transition Ecologique. Vous en pensez quoi ?

SB : Que ça va dans la bonne direction ! Mais plus largement, je pense que la clé, c’est que les professionnels gagnent en compétence sur ces sujets. Et je ne parle pas que des managers de transition. Il faut que l’on dispose d’experts spécialisés dans le domaine, et que les dirigeants soient plus au fait de la réalité. 

Il ne viendrait pas à l’esprit du PDG d’une entreprise de dire qu’il ne connait rien à la finance même si ce n’est pas son domaine de compétence. Il a forcément une compréhension du sujet qui lui permet, au côté des experts financiers, de gérer sa boite. Pour l’impact social et environnemental c’est exactement la même chose, ça doit faire partie du package de base de connaissance d’un dirigeant. 

 

goodd : avoir en charge la transition écologique d’une entreprise demande-t-elle des qualités humaines spécifiques ? De l’altruisme ou de l’empathie ? 

SB : oui, mais ce n’est pas propre à la transition écologique. A mon avis c’est le management en général qui demande des qualités d’altruisme, d’empathie et d’intelligence relationnelle.


goodd : et quid des connaissances ? Comme de l’ethnologie, géopolitique, vision citoyenne voire des connaissances scientifiques ?

SB : quand on est MT, on ne sait pas ce que sera notre prochaine mission. Il est fondamental de continuer à se former, acquérir de nouvelles compétences, participer à des actions citoyennes ou associatives. C’est la base…

 

goodd : mais vous faites cela tout seul ? 

SB : pas du tout ! Bien sûr, le MT peut avoir un côté solitaire. Quand il cherche ses missions, quand il se forme et même, parfois quand il est en poste. 

Mais il est aussi entouré par un écosystème qui lui permet de faire son travail. Dans mon cas par exemple, je travaille avec deux cabinets de MT : Lum Transition et Delville Management. Leur job est de trouver des missions bien sûr, mais aussi d’accompagner les managers en poste ou entre deux missions. 

Ils jouent aussi un rôle sur la transition écologique des entreprises en apportant des outils aux managers avec lesquels ils travaillent. Par exemple, Delville Management a pris des engagements corporate forts et effectue des Fresques du Climat avec tous ses managers. Lum Transition est aussi très engagé sur le sujet, puisqu’ils ont créé un outil de diagnostic RSE et une filiale spécifiquement dédiée au sujet, qui s’appelle MECOA. 


 

goodd : quels sont les principaux freins d’une transition écologique pour une entreprise ?

SB : la peur du changement est l’immobilisme ! On n’ose pas modifier sa manière de faire, de peur de perdre des parts de marché, de dégrader sa marge. Alors que l’entreprise, c’est tout sauf une situation figée. Les grands entrepreneurs sont ceux qui ont osés changer leurs modèles avant cela ne leur soit imposé par le marché, par leur concurrent ou par la règlementation. C’est vrai aussi pour la transition écologique : les dirigeants qui embrassent le sujet aujourd’hui vont prendre de l’avance. Ce qui n’empêche pas de développer son business, bien au contraire. 


goodd : enfin, êtes-vous heureux ?

SB : Globalement oui. Je complèterai en disant aussi préoccupé, chanceux et positif. Préoccupé parce que les changements ne vont pas assez vite, parce que les scientifiques sont encore trop souvent décrédibilisés, parce que l’actualité récente nationale et internationale n’incite pas à l’optimisme. Chanceux de pratiquer une activité qui m’amène à fréquenter constamment de nouvelles personnes, à découvrir de nouveaux environnements, à vivre des projets et des expériences intenses. Je suis aussi convaincu que le monde économique n’est pas qu’une partie du problème mais aussi une partie de la solution. Par mon métier je contribue très modestement à la recherche de ces solutions, au côté de nombreux autres acteurs. Ça donne du sens à ce que je fais et ça c’est positif ! 

 

Écrit par

 Gaël Clouzard

© visuel Markus Spiske