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Entertainment : « nous avons une vision radicale pour 2030 »

Respecter les objectifs de Développement Durable passe par une transition rapide qui peut sembler brutale. Dans le secteur du divertissement musical, on se prépare à une mutation rapide mais nécessaire pour combattre et s’adapter à l‘urgence climatique. Précisions simples et basiques de Matthias Leullier, le Directeur Général Adjoint de Live Nation France, leader mondial de l’organisation et de la promotion de concerts et festivals. 

 

goodd : comme le sport ou le cinéma, l’industrie du spectacle musical est contrainte d’entamer sa mue structurelle afin de répondre aux enjeux environnementaux pour devenir soutenable, et donc durable. Où en est aujourd’hui Live Nation, dans ce qui a été mis en place et dans ses objectifs ?

Matthias Leullier : nous faisons partie d’un groupe dont l’ambitieux programme Green Nation est coordonné au niveau monde. Sa charte, publiée en mai 2019, s’appuie sur les ODD de l’ONU et assume des objectifs très élevés pour d’ici 2030 réduire les émissions de GES par deux sur les scopes 1 et 2 ; viser le zéro déchet dans les bureaux, les salles et les évènements et revendiquer 50% de réemploi sur le matériel. En sachant que nous espérons en avoir fini avec le plastique à usage unique en 2025, dans le respect justement des engagements de Green Nation. Dans ce cadre global qui infuse sur tout l’écosystème du groupe, chaque territoire affiche des avancées différentes. En Suède par exemple, le festival Way Out West propose depuis 10 ans déjà une restauration complètement végétalienne. Aux Pays-Bas, Lowlands affiche lui une offre alimentaire en circuit court fermé à très basses émissions de GES. Après, il faut bien comprendre que les festivals sont la section de Live Nation la plus avancée sur les sujets environnementaux. Pour les tournées, les problématiques sont beaucoup plus complexes, notamment sur les questions de mobilité. En France, nous avons désormais un comité RSE et œuvrons pour l’obtention de la norme ISO 20121 pour l’évènementiel. Concernant le syndicat du spectacle musical Prodiss, une charte va être proposée à tous les adhérents dès septembre afin de proposer une feuille de route d’engagements très claire. Depuis peu nous avons aussi chez Live Nation France notre feuille de route CEC ( La Convention des Entreprises pour le Climat ) qui fixe une vision plus radicale à horizon 2030. La CEC nous a permis grâce à cet exercice, d’aller avec cohérence encore plus loin que les seuls objectifs de réduction des GES.

INTER :  « Notre activité est destructrice de valeurs mais elle répond à deux besoins humains fondamentaux »

 

goodd : vous parlez de radicalité et de cohérence mais sur quelles problématiques principales butez-vous encore ?

M.L : les trois problématiques environnementales majeures pour nous sont la mobilité, l’alimentation, eau incluse, et l’énergie. Mais il ne faut pas se mentir, la première problématique concerne tout simplement l’essence même de notre métier. Notre activité est intrinsèquement destructrice de valeurs mais en même temps elle répond à deux besoins humains fondamentaux : le divertissement par l’émotion et le rassemblement. La seule vraie question est donc de savoir comment faire pour continuer de répondre à cette demande avec à la fois un impact écologique ultra faible et un impact social et solidaire ultra fort. Pour nous la meilleure approche afin de remplir ce défi immense consiste à se concentrer massivement et prioritairement sur les infrastructures. C’est la clef, bien plus que le nombre de personnes rassemblées. On entend souvent qu’il faudrait arrêter les grands rassemblements mais ce n’est pas aussi simple. Car pour nous, un festival de 5000 personnes dans un champ ou un parc naturel au milieu de nulle part a plus d’impacts écologiques négatifs qu’un festival de 50 000 personnes dans des lieux à très basses émissions et ultra bien desservis. Tout tient au site, quelle que soit sa taille ! 

 

goodd : il faudrait donc arrêter les festivals de trois jours dans les zones rurales isolées mal desservies ?

M.L : ce n’est pas aussi simple. Chez Live Nation, nous plaçons l’accès à la culture pour tous et la mise en valeur des territoires au même niveau que la transition écologique. Cela passe par ces festivals en zones rurales mais il faut œuvrer pour qu’elles soient mieux desservies et bénéficient d’infrastructures adaptées à ce type d’évènements. Dans le même temps, il faut aussi très sérieusement se concentrer sur la construction, comme à Seattle avec la Climate Pledge Arena, des salles neutres en impact carbone qui sont parfaitement desservies par des transports en commun à basses émissions. Notre approche chez Live Nation, telle que développée dans notre feuille de route CEC, est aussi de tendre vers une mutualisation des infrastructures entre les évènements. Il va falloir arrêter dans notre industrie d’avoir chacun son site le temps de son évènement. Notre marché étant très concurrentiel, cette mutualisation ne pourra se mettre en place qu’avec un changement culturel assez profond. D’ailleurs, cet aspect est encore très nouveau dans le secteur.

INTER :  « La prise de conscience ne va pas aussi vite que les catastrophes naturelles. »

 

goodd :  avec le contexte climatique actuel et ses incidences sur plusieurs festivals, votre industrie a-t-elle pris la claque qui va impulser une bascule plus rapide ?

M.L : l’impact de ce qui s’est passé a été considérable mais malheureusement la prise de conscience ne va pas aussi vite que les catastrophes naturelles. Il ne faut pas oublier que nous sortons d’une pandémie qui a fragilisé économiquement le secteur. Donc la compréhension des enjeux business derrière les enjeux écologiques constitue selon moi, la clef de notre faculté en tant qu’industrie à rapidement apporter les réponses nécessaires.

 

goodd : dans ce paysage, Live Nation est-il un précurseur, un avant-gardiste ou un leader qui est déjà dans le futur ?

M.L : nous sommes simplement mais clairement à un stade  avancé. Et dans un sens c’est notre responsabilité. Chacun essaye de faire sa part mais le métier dans son ensemble est encore loin de répondre aux enjeux environnementaux structurels et culturels. Il faudrait former les artistes et les dirigeants à ces enjeux, comme cela va être fait pour les ministres. Il y a pour les artistes un réel besoin de sensibilisation. Car ceux qui sont très engagés concrètement ne sont pas nombreux aujourd’hui. Il y a Coldplay par exemple et c’est justement sur leur tournée actuelle que nous travaillons sur un programme pilote de solutions possibles. Sur leurs quatre récents concerts au Stade de France, nous avons réalisé un énorme travail sur le plastique à usage unique, sur la prévention, le reporting et le recyclage des déchets, sur l’alimentation et la mobilité. Une application dédiée aux fans a été mise en place par le groupe pour permettre à leurs fans de calculer dans les grandes lignes leur empreinte carbone. Cette sensibilisation permet d’inciter à l’utilisation de transports à basses émissions. Nous avons aussi insisté sur l’énergie et l’ESS avec l’activation de Global Citizen. Quand des grandes tournées mondiales comme celle de Coldplay seront à des stades très aboutis sur chacune de ces problématiques et se dérouleront dans des salles à zéro émission comme celle de Seattle, alors l’industrie aura fait un très grand pas en avant.

Écrit par

Benjamin Adler

© Photo : Marcus Spike