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Ben Barbaud, le fondateur du Hellfest : « Le modèle de festival subventionné va tendre à s'essouffler et il va falloir trouver de nouveaux modèles économiques »

Ben Barbaud, le fondateur du Hellfest : « Le modèle de festival subventionné va tendre à s'essouffler et il va falloir trouver de nouveaux modèles économiques »

« Pour Disneyland , on construit une autoroute. Pour le Puy du Fou , une gare ». Sous-entendu, et pour le Hellfest ? Derrière le questionnement songeur de Ben Barbaud, fondateur et directeur du plus grand festival mondial de musique métal, se dessine en filigrane l’enjeu crucial des relations entre pouvoirs publics et organisateurs. Et in fine celui de la place et du rôle d’un festival sur son territoire. Sans enracinement, point de nouveau récit. Et surtout de nouveau modèle économique. 

 

Par Benjamin Adler

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Avec 240 000 festivaliers sur 4 jours, le Hellfest est le 18e plus gros contributeur fiscal de Loire-Atlantique selon son créateur. Forcément ça pèse quand il s'agit d'échanger avec l’agglomération de Clisson et Maine qui accueille. Mais l’argument de l’influence doit aussi être de poids dans la capacité d’un festival à se réinventer pour coller aux enjeux de demain, et ce, dès aujourd’hui. En France, championne d’Europe des festivals (8000 chaque année, contre 1000 par exemple en Angleterre terre ultime de musique) , comment concevoir le festival de demain ?

GOODD s’est posé avec Ben Barbaud dans un salon du Palais des Festivals, à Cannes lors du MIDEM 2025 focalisé sur les événements live et organisé par Live Nation

 

Goodd : quels sont aujourd'hui les enjeux majeurs du nouveau récit pour un festival qui a envie de raconter une nouvelle histoire ?


Ben Barbaud : Il y a selon moi trois  volets. Le premier est celui de l’environnement, qui pèse aujourd'hui très lourd dans les organisations. C’est un sacré défi. Au-delà des envies de donner du sens à nos actions, d'être en phase avec le monde d’aujourd'hui et de demain, il faut trouver des solutions techniques, des partenaires qui sont experts en la matière. Moi j'ai du bon sens, comme n'importe quel être humain sur cette terre, mais je ne suis pas formé sur la connaissance spécifique de ces enjeux-là.  


En plus de l’écologie, il y a aussi le volet artistique. Le Hellfest reste une manifestation musicale, donc le nerf de la guerre c’est la programmation.  Nous sommes  sur une niche artistique assez peu développée en France et en quelque sorte c’est une chance. Arriver à se renouveler, à ramener toujours de nouveaux artistes pour maintenir l'envie chez les festivaliers, ça reste très important. Le troisième volet, c'est la difficulté de plus en plus grande à monter des projets.


 Est-ce que l’histoire d’un festival parti de rien qui a commencé dans la chambre d’un adolescent, moi, pour devenir leader mondial pourrait encore s’écrire pareil aujourd’hui ? Je n’en suis pas persuadé, notamment à cause des freins administratifs. Mon ressenti est que la montagne des problématiques à régler est beaucoup plus compliquée à gravir, notamment à cause du millefeuilles administratif. Je pense aussi que le modèle de festival subventionné va tendre à s'essouffler et qu’il va falloir trouver de nouveaux modèles économiques. Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent être des moteurs plutôt que des freins. 

 

« Nous sommes une grosse machine mais qui peut vriller sur un détail. Donc on a toujours peur qu'en changeant, quelque chose s’immisce tel un petit grain de sable, et que cela enraye notre fonctionnement. »


 

Goodd : Revenons sur l’environnement. Comment peut-il être un allié attractif de cette nouvelle narration que doivent créer les festivals pour continuer d’exister, à l’heure où beaucoup sont en grande difficulté financière ?


B.B : Il faut se poser la question par le prisme du bon sens, pour savoir effectivement quelles sont les actions à mettre en place et pas seulement sur la décarbonation. Il existe aujourd’hui une charte événementielle comme outil d’accompagnement et qui conditionne les subventions, sur la gestion des déchets, l’usage du plastique, l’alimentation et la mobilité. L’autre point de bon sens dans l’histoire que doit raconter un festival, c’est sa capacité à s’implanter sur son territoire au-delà de son évènement. 


Il faut savoir que le Hellfest est né et s’est déroulé pendant 20 ans sur des terres dites agricoles de propriétaires viticoles. Donc il nous était impossible de faire des travaux.  Maintenant le PLU a changé et ça va nous permettre notamment de couvrir 10% de nos besoins en électricité avec de l'énergie verte. L’objectif est d’arriver à 50% dans 5 ans, avec l’appui espéré de la Région. Sur l’énergie, les collectivités ont un rôle d’accompagnement primordial.


Nous, nous sommes une grosse machine mais qui peut vriller sur un détail. Donc on a toujours peur qu'en changeant quelque chose s’immisce tel un petit grain de sable qui enraye notre fonctionnement. Donc on y va petit à petit, mais avec une vraie vision. Idem sur la mobilité, qui pour un festival rural comme le nôtre pose les questions de la mobilité douce et de l’accessibilité au site en transport en commun dans une agglomération qui n’a pas les ressources financières des grandes villes. Une chose est certaine, je n'irai jamais dans le militantisme parce que je trouve que ça peut être contre-productif en générant trop d’attentes. Ce changement, il doit s'opérer graduellement. Sur les grands événements, ce n'est pas si facile de changer les habitudes, les mentalités. 


C’est un travail de longue haleine. Il ne faut pas se mentir, l’impact carbone d’un grand festival comme le nôtre ne sera jamais neutre.  Est-ce que cela nous rendra un jour insoutenable et donc plus défendable, à commencer auprès des collectivités territoriales et des pouvoirs publics ? Cela dépendra des priorités politiques dans les années à venir.  Mais si demain, de nouvelles normes, de nouvelles politiques font que notre modèle n’a plus de sens face aux défis écologiques, je comprendrais que nous arrêtions. Je ne suis pas attaché coûte que coûte au festival. Après, j'aime bien aussi rappeler lorsque nous sommes pointés du doigt que d'autres industries sont bien plus polluantes que nous, festivals. La consommation de GNR du Hellfest c’est environ 300 000 litres, soit l’équivalent de deux vols Paris-New-York en avion. Mais cela n'empêche pas, effectivement, notre secteur de devoir faire sa révolution.


 

« Notre seule volonté est d’offrir une organisation optimale aux festivaliers pour les fidéliser. Les gens ne veulent pas de festivals à la Woodstock ou de ceux des années 70. »


 

Goodd : Si on vous dit que le modèle viable passe forcément par la capacité d’un festival à posséder une implantation permanente pour être présent par d’autres leviers sur son territoire, vous êtes d’accord ?

B.B : C'est le modèle que nous essayons de construire. Au départ, notre seule volonté est d’offrir une organisation optimale aux festivaliers pour les fidéliser. Les gens ne veulent de festivals à la Woodstock ou de ceux des années 70. Pisser dans les tranchées, ce n’est plus possible aujourd’hui. Le public demande un certain niveau de confort mais pour l’atteindre cela nécessite un minimum d'infrastructures qui permettent à l'organisateur de pouvoir monter tout ça dans des conditions les plus optimales possibles. Aujourd’hui, le site du festival est devenu un parc unique en France qui se visite à l’année, accessible aux habitants du territoire sans que la collectivité n’ait eu à donner la moindre subvention. L’entretien du parc est réalisé par trois employés à temps plein du festival. Tous les week-ends, il y a des gens qui viennent pique-niquer, se balader…


C'est une façon pour nous de redonner au territoire ce qu’il nous a donné. Et en plus, ça valorise la marque Hellfest. On peut plus facilement le faire car le terrain n’est pas municipal mais privé. L’autre chance que nous avons est que notre public dispose d’un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne. Notre moyenne d’âge est de 37 ans et aisée. Un festival qui se repose sur ses lauriers, c'est un festival qui en 5 ans se retrouve dépassé donc il faut innover, se renouveler. 


Pour cela il doit s'imprégner dans son territoire et être une valeur ajoutée sociale et économique toute l'année. Et pas seulement sur quelques jours.