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Alimentation et durabilité : des consommateurs sous pression entre aspirations et comportements…

Nous sommes toutes et tous pleins de bonnes intentions. Et encore plus quand il s’agit de l’environnement. Mais voilà, niveau bouffe, entre le déclaratif et l’impératif, il y a certes une prise de conscience mais un passage à l’acte qui se fait désirer. Le CREDOC* dans sa dernière étude livre un constat sur la consommation alimentaire et le mode de vie des Français. Et analyse trois catégories de consommateurs bien de chez nous : les engagés, les empêchés et les éloignés…

 

Par Eric Espinosa

ODD N°3 : bonne santé et bien-être
ODD N°12 : consommation et production responsables


L’alimentation représente un quart de l’empreinte carbone de la France. Certaines pratiques agricoles occasionnent par ailleurs des dégâts sur l’environnement et la santé, en recourant à des produits chimiques par exemple. Dans ce contexte, certains Français cherchent à adopter une alimentation plus durable, c’est-à-dire plus respectueuse de la santé, de l’environnement et de la société en général. Pour mieux comprendre ces pratiques et leur évolution récente, le CRÉDOC s’est penché sur la question des critères d’achats durables dans l’alimentation en analysant les résultats de l’enquête Comportements et attitudes alimentaires en France (CAF) de 2021 et 2023. 

 

 

En baisse : le bio, le bien-être animal et les garanties écologiques 

Les motivations à consommer durablement ont globalement fléchi entre 2021 et 2023, période pendant laquelle les prix des produits alimentaires ont grimpé de 21 %. La seule exception notable concerne les incitations liées à la compétitivité des prix. En outre, les incitations d’ordre environnementales, déjà plus basses en 2021 que celles liées à la qualité, à l’hygiène ou à l’information sur les produits, ont davantage reculé que ces dernières. En particulier, l’envie de consommer des produits issus de l’agriculture biologique a reculé de 9 points, celle à consommer des produits respectant le bien-être animal de 8 points, celle à consommer des produits présentant des garanties écologiques de 7 points. 

 

Trois types de consommateurs : les engagés, les empêchés et les éloignés

Les « engagés » sont ceux qui allient aspirations et actions en faveur de la réduction de l’impact environnemental de leur alimentation. Ce groupe intègre des pratiques telles que l’achat de produits biologiques, de saison et l’utilisation d’un compost. Bien qu’ayant reculé de 5 points entre 2021 et 2023, le groupe des engagés reste le plus important ,regroupant 51 % des Français. Les femmes les plus âgées, les couples sans enfants, les cadres et les foyers déclarant les plus hauts revenus sont surreprésentés dans ce groupe de consommateurs. Leur engagement dans une alimentation durable provient probablement d’une préoccupation santé plus importante (chez les femmes et les plus âgés notamment) et d’un pouvoir d’achat leur permettant de choisir les aliments sur d’autres critères que le prix. 

À l’opposé, les « éloignés » se distinguent par une absence tant d’aspirations que de comportements durables. Ce groupe reste indifférent aux questions environnementales, que ce soit par choix, par manque d’information ou par contraintes économiques, reléguant les considérations écologiques au second plan. Les hommes, les 45-54 ans, les ouvriers et les ménages les plus modestes sont sur- représentés dans ce groupe. Entre les deux, le groupe des « empêchés » manifeste une volonté de s’orienter vers une consommation durable, mais divers obstacles, souvent financiers ou logistiques, entravent la concrétisation de ces aspirations. Malgré une sensibilité aux enjeux écologiques, leur désir de consommer de manière responsable ne se traduit pas par des actions tangibles. 

 

Même les plus engagés réduisent leurs aspirations à une alimentation durable 

La baisse globale des aspirations et comportements durables se traduit par une baisse de la part des « engagés » (-5 points) au profit du groupe des éloignés (+3 points) et des empêchés (+2 points). Le comportement des engagés a changé, notamment par rapport aux aspects durables qui les incitent moins à l’achat comme les garanties écologiques, les produits émettant peu de carbone, les produits de saison, sans huile de palme et les produits issus de l’agriculture biologique. Les « engagés » sont d’ailleurs moins nombreux à fréquenter les magasins bio chaque semaine (38 % en 2021, 34 % en 2023) mais restent à des niveaux bien plus hauts que ceux des « empêchés » (7 % en 2023). L’inflation des produits alimentaires a pu pousser certains d’entre eux à renoncer à l’achat de produits plus coûteux proposant de meilleures promesses environnementales.

Cependant, les engagés ayant des revenus plus élevés que la moyenne, la baisse de leurs aspirations à une alimentation durable peut aussi correspondre à la moindre sensibilité aux questions environnementales constatée ces dernières années dans l’ensemble de la population. Il y a un recul voire un rejet de la notion de durabilité même chez les plus éduqués sur le sujet. Il faut donc se poser la question du récit actuel qui n’est plus nouveau et qui ne va peut-être pas tarder à se faire disrupter. 

 

Écrit par

Eric Espinosa

Credoc : centre de recherche pour l’étude et l’observations des conditions de vie 
© visuel : Lauren Mancke