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L’écologie doit-elle se passer de la justice sociale ?

Les mouvements de justice et d’environnement, issus de la gauche progressive, soulignent l’importance d’intégrer l’environnement au sein des règles d’une nouvelle vision sociale. Mais l’équation est-elle soluble dans la justice distributive telle qu’elle est pensée aujourd’hui ? Et ses défenseurs sont-ils au niveau de ses enjeux écologiques et sociétaux ? 

 

Par Guillaume Hublot, Docteur en droit, associé KMH Gestion Privée et membre de la Convention des Entreprises pour le Climat

ODD N°16 : Paix, justice et institutions efficaces


 

L'utilisation des mots est importante, et le terme "justice" appelle à juger, désigner des coupables, et à les punir. Ce mot est particulièrement utilisé par des associations plus ou moins activistes telles les ONG OXFAM ou Greenpeace, dont les publications réclamant cette justice et ciblant ad nominem des coupables présentent des biais particulièrement discutables. On pensera notamment à cette tribune où les deux groupes épinglent monsieur Mulliez comme le premier pollueur carbone de France. 

En réalité, l’étude compare l’écosystème d’une multitude d’entreprises, composées elles-mêmes de centaines de milliers de collaborateurs, à l’individu lambda. Quelle surprise de conclure que les émissions carbone d’un empire sont plus importantes que celles d’un individu ! Mais réduire les émissions de l’empire à un seul homme en appelant à une justice climatique met mal à l’aise. Et sans doute encore plus quand il s’agit de l’un des groupes les plus engagés sur les questions de transition. A mon sens, il ne s’agit pas ici de justice, mais beaucoup plus de nourrir une émotion politique.
 

Envie de justice ?

Il faut relire le discours de Robespierre du 18 Pluviôse de l’an II sur la vertu, la justice et la nécessaire terreur, désignant comme coupables tous ceux qui s'écartent de celles-ci ! Il ne faut jamais oublier que la figure de la justice est constituée de la balance et du glaive. Aucun de ces deux outils ne doit et ne peut prendre ses sources dans l’émotion. Or en appelant à la justice par la simple constatation de différences, quand bien même elles seraient disproportionnées, on suscite l’émotion. En procédant de la sorte, la justice risque de désigner les coupables avant d’en mesurer les crimes. C’est alors que la société commence à exclure.


D'une certaine manière, on peut faire un parallèle avec la manière dont procède la règlementation, principalement fondée aujourd’hui sur l'exclusion par les normes et la catégorisation. A l'exclusion et à la justice émotionnelle, il y a deux risques : que les moins bons élèves, qu’ils soient désignés ainsi à cause de leur secteur d’activité ou à cause de leur puissance économique, où encore qu’ils soient dépassés par la complexité règlementaire, finissent par assumer leur place de « cancre » et décident d’y rester.


Au contraire, il y a une urgence à construire ensemble. A donner envie de faire toujours mieux. Nous avons besoin d'unir les forces, et non de les diviser. Nous avons besoin de construire des ponts humains pour réussir la transition. 

 

L’idée n’est pas de passer sous silence les formidables écarts qui existent entre les individus. Mais il me semble plus intelligent de réfléchir et travailler à la question de les mettre à contribution du bien commun et d’augmenter leur sentiment de responsabilité (et non de culpabilité), plutôt que de leur reprocher leur puissance financière.

 

Nous faisons tous partie d’un même peuple, d’une même humanité. De ce fait, au terme "justice sociale ou climatique" je préfère ceux d'équité, d'égalité, de fraternité et de responsabilité, qui appellent à l’union, plus qu’à la division.

 

L'égalité et la fraternité appellent aux solidarités. Celles-ci ne sont pas que financières. Elles doivent l’être bien sûr, mais elles doivent être aussi légales et humaines. Et il faut les penser non pas comme descendantes (des fortunés vers les plus fragiles) mais éco-systémiques (de tous vers tous). Les premiers socles de cette responsabilité passent par l'empathie, le respect des autres, l'entraide naturelle et l'acceptation des différences. Les vraies questions sont celles-ci : que pouvons-nous faire pour les autres, et que pouvons-nous faire pour préserver notre planète, avec les moyens qui sont les nôtres ?

 

Nous pouvons penser que les plus puissants ont les capacités les plus fortes, et que l’individu est faible. En réalité, il n’en est rien. Leurs forces et leurs faiblesses sont différentes. Le puissant pourra avoir une action aux conséquences vastes et profondes, mais il est généralement entravé et subit une inertie colossale, là où le plus petit bénéficie parfois d’une grande agilité. La nature a besoin de toutes ses composantes, comme nos sociétés. Nous avons besoin les uns des autres. Nous avons besoin d’unir nos forces et de travailler ensemble, pas de reprocher sans cesse aux autres leurs travers, leurs failles, leurs paradoxes et leurs erreurs.


 

Pas d’injustice, pas de justice…

Le sentiment d’injustice a des sources multiples. La déresponsabilisation en est une, l’écart croissant de ressources en est un autre, les impunités une troisième. Il y en a cependant un dernier sentiment moins visible, mais qui sape tout autant les bonnes volontés et les initiatives de coopération : la prolifération constante de la réglementation et de sa complexité. Dans un tel cadre, la réglementation constitue autant de plafonds de verre, autant d’exclusions, et finalement autant de fractures et morcellements de nos sociétés.

 

A titre d’exemple et pour revenir à l'écologie, la CSRD ( Corporate Sustainability Reporting Directive ) pourrait en être une bonne illustration. Certains estiment que sa mise en place ne pourra être traitée de manière optimale que pour les entreprises de plus de 500 millions de CA, alors qu’elle sera obligatoire à partir de 50 millions de CA. S’il faut souligner la nécessité de cette directive européenne et féliciter son ambition, on ne peut que conclure à sa trop grande complexité dont les conséquences ne peuvent être qu’une rupture d’égalité devant la loi, c’est à dire, une injustice. On pourrait penser qu’il ne s’agit que d’une difficulté de très grosses entreprises. Mais cette rupture se retrouve à chaque niveau de la société, depuis l’individu le plus fragile jusqu’à l’entrepreneur, la TPE, la PME, l’ETI et ainsi de suite.

 

C’est la raison pour laquelle je préfère la loi au règlement. La loi est un cadre dans lequel on s’exprime avec confiance. Elle permet ainsi l’intentionnalité, et l’intentionnalité permet l’adhésion. Nos sociétés actuelles, avides d’analyses, de data, de reporting et de preuves, lui préfèrent largement la réglementation, qui instaure une succession de points de contrôle. L’esprit n’est pas du tout le même. Alors que la loi participe à l’union, la réglementation lorsqu’elle devient prééminente, procède à la désunion.

 

Lorsqu’elle devient trop complexe, la réglementation agit comme un repoussoir. Certains vont déployer de tels efforts pour s’y conformer qu’ils penseront avoir fait leur part en mettant en place les process de contrôles nécessaires. Démotivés, ils se cacheront derrière leurs tableaux Excel. D’autres finiront par détester cette contrainte dont le foisonnement leur fait même perdre de vue la finalité globale.

 

Alors que nous avons besoin de coopération, c'est-à-dire d’adhésion et d’intentionnalité, le paroxysme de la réglementation nous aura poussé à devenir cyniques, démotivés, opposés et laissés pour compte. Alors les sentiments de justice, de liberté et de responsabilité ne pourront plus s’épanouir, et, avec un tel terreau, les actions d’urgence à mener contre la dégradation environnementale risquent de s’en trouver freinées.

 

Écrit par

Par Guillaume Hublot, associé KMH Gestion Privée et membre de la Convention des Entreprises pour le Climat


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