Vous connaissez Le greenhushing ? C’est une tendance rampante et tenace qui cloue le bec de ceux qui œuvrent pour la transformation écologique de leur entreprise. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce ne sera jamais assez pour les défenseurs purs de écologie. Se taire, par peur d’être critiqué sur son action environnementale, peut au final s’avérer contre-productif. Pour sortir de la spirale infernale, il faut libérer la parole de ceux qui prennent des initiatives même imparfaites sans avoir peur de se faire étriller.
Le « Greenwashing » tout le monde ou presque connaît. Tant ce terme qui dénonce les entreprises se targuant d'actions internes ou externes plus ou moins concrètes en faveur de la planète, est entré dans notre lexique usuel. Et à juste titre ! Car vu l’urgence climatique dans laquelle nos sociétés se trouvent confrontées, comment accepter, par exemple, une déclaration aussi désinvolte sur un produit que « fabriqué localement dans la mesure du possible » histoire de cocher la case RSE. C’est sans valeur et inconséquent comme d'affirmer : « je suis un bon parent chaque fois que je le peux ». Et pourtant, et peut être justement en raison de cette urgence climatique, il va falloir faire preuve de plus de nuance ou de mansuétude sinon de tolérance.
Le greenhushing vs le greenwashing : la réponse du berger à la bergère
En effet, telle la réponse du berger à la bergère, bon nombre d’entreprises de peur d’être étiquetées« greenwasher » dans les médias, d’être traduites en justice, et de voir leur réputation ternie, ont trouvé une parade : le greenhushing. Qu’on pourrait traduire par « silence radio délibéré sur toutes les ondes en ce qui concerne toute initiative relative au développement durable ». « Une expression apparue en 2017 mais encore très très peu usitée bien que la pratique soit très répandue », selon Xavier Font, professeur en marketing durable à l’université du Surrey en Grande Bretagne, l’évoquant dans Fast Company.
Définie comme « la minimisation volontaire des initiatives RSE même menées de bonne foi et mesurés de façon scientifique, de peur que cela ne se retourne contre l’entreprise », elle a été mentionnée également en octobre 2022 dans un rapport mené par South Pole, cabinet de conseil suisse. Selon ses résultats, un quart des 1200 entreprises analysées qualitativement et ayant un responsable du développement durable n’ont pas publié leurs réalisations RSE « au delà du strict minimum ». Une tendance qu’il juge très préoccupante : car en se taisant sur ses actions on ne partage pas, on n’inspire pas, on ne pousse pas à bouger les mentalités, on n’encourage pas les approches collaboratives ni on ne mobilise ses publics.
Pour vivre bien vivons cachés, vraiment ?
Faisant ainsi de ce mantra prudent « pour vivre bien, vivons cachés » une pratique délétère au quotidien et contre-productive. Preuve à l’appui comme le décrit Xavier Font dans son étude sur l’industrie du tourisme : « il étonnant de voir des entreprises du secteur s’abstenir de toute information auprès de leur clientèle, sur leurs initiatives RSE alors que les occasions sont nombreuses grâce à leurs établissements, leurs sites et/ou réseaux sociaux. Ainsi sur les 31 petites entreprises dans le tourisme rural du parc national de Peak District (GB) seules 30% communiquent sur leurs actions dédiées à l’environnement; elles s’interrogent aussi sur la pertinence de telle publication qui pourrait faire craindre à leurs clients une mauvaise expérience pour leurs vacances. Tandis que d’autres s'interrogent sur le bon moment pour partager telle ou telle initiative comme par exemple sur le fait de se fournir en produits de la mer locaux. » « Si notre chaine d’approvisionnement durable n’en est qu’à 50%, est ce que mon message est crédible auprès du public ? », lui a t-on demandé. Incroyable ce manque de confiance dans les compétences et de lucidité sur les bienfaits d’une opération entamée.
De même, il a noté que certains supermarchés refusent d’étiqueter leurs bananes comme issues du commerce équitable. Car alors les clients leur demandaient pourquoi tel n’était pas le cas pour davantage de denrées. Et c’est donc aussi cette faculté du public à voir le verre à moitié vide qui les poussent en partie à se taire. Un manque de combativité qui peut aussi les desservir et paraître suspect.
Pour les plus grandes entreprises, c’est la peur des représailles légales qui les incitent au silence partiel donnant ainsi l’exemple de Dosani qui a été poursuivie pour avoir affirmé que ses bouteilles d’eau étaient à 100% recyclables. Ou encore de Kroger qui assurait que sa crème solaire était respectueuse des récifs.
Pourquoi vouloir passer sous les radars ? Et les solutions amorcées
En Europe comme aux USA, les entreprises subissent les attaques répétées des ONG et autres activistes en guerre contre le greenwashing. A cela s’ajoute une forte politisation autour du sujet de la crise climatique et de la RSE. Résultat, des états comme la Floride lâche des millions de dollars auprès de sociétés comme BlackRock, garant de solides portefeuilles en RSE.
« Les attaques à leur encontre sont parfois irrationnelles et très féroces », souligne Peter Seek, professeur de RSE et d’éthique des entreprises à l’université Swizzeria Italiana en Suisse, « cela les pousse au silence pour s’épargner la tirade anti woke ». Et confirme Avant Sudaram, professeur de commerce et du changement climatique à l’université de Dortmouth : « aux USA, nous sommes très procéduriers et prompts au litige : il suffit d'un document ou d’une déclaration pour que cela devienne la base d’un procès. Ainsi les entreprises aspirent à rester sous les radars ». D’où la conclusion assez logique de Xavier Font : « Cette polarisation est troublante car elle infiltre l’état d’esprit des clients, poussant les entreprises à la prudence selon leurs marchés. D’ailleurs, si j’étais une entreprise américaine offrant une large gamme de produits/services, je minimiserai le mot durable dans mon discours ».
Pourtant les incitations ne manquent pas et les rapports sur le climat sont désormais pléthores. Le grand public a accès à beaucoup d’informations grâce à tout ce qui est communiqué par les entreprises aux agences gouvernementales mais cela reste encore sur la base du volontariat. Ce qui permet de taire certains paragraphes comme celui sur la RSE. Ainsi aux USA, une étude montre que si 71% des entreprises du Nasdaq déclarent leurs émissions à effet de serre, seules 28% des PME le font. De plus, seules 15% des grandes entreprises divulguent des informations sur leur impact sur la biodiversité et la déforestation et 12% sur l’eau. C’est pourquoi, la teneur des rapports va être plus exigeante et la Securities & Exchange Commission étendra dès 2024 une réglementation plus stricte auprès de toutes les sociétés.
En Europe, les informations de l’impact sur le climat deviendront obligatoires dès 2025 pour un plus grand nombre d’entreprises que celui d'aujourd’hui. Tandis qu'en France, une nouvelle loi mettra à l’amende des entreprises qui auront fait des déclarations trompeuses à propos de leur neutralité carbone. C’est certes une bonne intention mais qui incitera à coup sûr les entreprises à garder le silence. Obtenant ainsi l’effet inverse attendu.
Un impératif : sortir de cette spirale infernale et redonner confiance en osant parler du mal
Si dénoncer le greenwashing est une bonne chose, ça ne l’est plus si c’est fait à l’aveugle. Attaquer les entreprises systématiquement quelles que soient leurs actions n’est pas forcément constructif, car qu'elles soient balbutiantes, partielles, audacieuses ou imparfaitement abouties, elles ont le mérite d’exister. De faire bouger les lignes. D’avoir valeur d’exemple et de jouer un effet d’entrainement dans l’écosystème. C’est un mouvement vertueux pour un secteur, une filière, un pays. C’est aussi pousser à la transparence. C’est permettre aux publics interne et externe d’être des ambassadeurs d’une initiative. C’est enfin donner la possibilité aux équipes dirigeantes d’oser se lancer dans un projet en faveur de l’environnement. S’autoriser à en parler sans craindre la vindicte populaire, au motif que, par exemple, l’entreprise serait dans un secteur dit pollueur ou avec des pratiques pas encore complètement éco responsables.
Les marques doivent pour cela s’appuyer certes sur les données, les statistiques scientifiques et les objectifs de bonne conduite RSE mais aussi avoir confiance en leur créativité qui sur la base d’une vraie situation va engendrer de la différence, casser les codes peut être en provoquant ou en faisant froncer les sourcils mais à force d’efforts répétés et dits clairement, elles vont susciter de l’attention positive. Le changement est à ce prix : le courage. Or jamais on a eu autant besoin d’entreprises compétitives à tous les étages.
Florence Berthier
ODD 13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques