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Énergies renouvelables et l’art : Et si on « pimpait » les éoliennes ?

La France est passée dans une nouvelle ère industrielle : celle des énergies renouvelables. Ce changement majeur induit une redéfinition de notre environnement et des paysages qui génère un rejet d’une partie de la population. Et si pour faire évoluer les mentalités, nous repensions l’esthétique des éoliennes ? C’est ce que propose Alessio Motta, enseignant-chercheur en sciences sociales, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et rattaché à Mobilisations.org.

 

Par Alessio Motta

ODD N° 9 : industrie, innovation et infrastructure

 

Partout, les éoliennes sont blanches ou gris clair. Un choix qui, malgré les justifications techniques, semble avant tout être celui de la prudence ou de l’évidence. Mais devant la défiance croissante des populations vis-à-vis de leur développement, n’est-il pas devenu nécessaire de revoir nos certitudes ?

À en croire les recherches en sciences sociales, la beauté n’a rien d’universel. L’essentiel des études, notamment depuis celles de Pierre Bourdieu sur les goûts et pratiques culturelles des Français, ont montré qu’elle est affaire de cultures, valeurs et groupes sociaux. Nos goûts, mais aussi nos dégoûts, sont autant d’occasions d’affirmer notre identité et notre positionnement social.

Pourquoi en serait-il différemment avec les éoliennes ? Les enquêtes passées ont mis en lumière le fait qu’elles étaient encouragées par certains groupes, plus souvent ceux associés à la gauche de l’échiquier politique, et rejetées par d’autres, en particulier les plus conservateurs et certains groupes dépolitisés. En somme, elles sont un objet socialement clivant.

Dans le cadre d’un travail d’accompagnement d’acteurs privés de l’éolien, Mobilisations.org (consultant énergies renouvelables et contestations) a commandé une enquête d’opinions réalisée auprès de plus de 1500 personnes et mené une réflexion sur le sujet pour voir si ces clivages se retraduiraient dans les perceptions esthétiques.

Une image écornée

La première réflexion ressortant du sondage est que l’optimisme qui prévalait encore il y a quelques années, quand des enquêtes affirmaient qu’un Français sur deux trouve les éoliennes « très belles » ou « plutôt belles », doit être remis en question.

L’étude révèle que cette perception a été fortement écornée par les controverses sur la multiplication des mâts dans les paysages. 43 % des Français et Françaises jugent les éoliennes « assez laides » ou « très laides » et 37 % les jugent « ni belles, ni laides ». Seuls 17 % portent un jugement esthétique favorable, dont 3 % des enquêtés qui trouvent les éoliennes « très belles ». Par ailleurs, 16 % affirment qu’elles « s’intègrent bien dans les paysages » contre 48 % selon lesquels elles les « gâchent ».


Lassitude face à des éoliennes standardisées

En somme, il serait erroné de croire que les faveurs de certaines classes de citoyens pour le développement éolien signifient de facto une appréciation visuelle. Malgré une diversité de jugements esthétiques selon les groupes, ceux qui les trouvent belles sont aujourd’hui minoritaires dans tous ces groupes.

La diversité des jugements esthétiques sur les éoliennes selon les individus et groupes a immanquablement des répercussions au niveau des politiques territoriales. Il y a les municipalités hostiles à la vue des éoliennes, il y a celles qui acceptent les éoliennes pour leur utilité et les contreparties… mais il y a aussi celles qui en tirent parti pour le tourisme.

Et si, plutôt que de se battre pour « faire accepter » les éoliennes un peu partout, développeurs et industriels créaient les conditions pour multiplier les individus, groupes et municipalités qui voient dans l’éolien un objet à s’approprier esthétiquement et à valoriser ?

Difficile, convenons-en, de s’approprier ce qui est standardisé. Cette standardisation vient dans les premiers rangs des justifications au rejet des éoliennes. Il y a quelques années encore, assez peu de personnes considéraient une éolienne moderne comme vraiment laide. Mais y compris avec la silhouette la plus élégante du monde, la reproduction à l’envi d’un même objet massif, au même dessin et à la même teinte blanche sur l’ensemble des paysages du globe ne pouvait que lasser.

Cette lassitude, voire parfois ce dégoût qu’elles suscitent, permettent de comprendre pourquoi même les clusters a priori plus favorables aux éoliennes ne raffolent pas pour autant de la vue de leurs mâts. L’uniformisation du monde est perçue comme un malheur aussi bien du point de vue de certains clusters « de gauche » (multiculturalistes, solidaires), qui rejettent la standardisation générée par le capitalisme moderne, que des plus conservateurs (sociaux-patriotes, identitaires), attachés aux paysages et décors traditionnels de leurs régions, châteaux ou monuments.

 

Le pari de la créativité et de l’identité locale

À de rares exceptions près, les éoliennes contemporaines ont toutes un aspect identique. Les quelques éléments qui rompent avec le blanc sont les attributs visant à renforcer les contrastes et éviter les collisions avec des engins volants ou oiseaux (bandes rouges, une pale noire…). Or la couleur et l’apparence ne sauraient être seulement des réponses aux nécessités techniques. Dès lors qu’elles remplissent leur mission de sécurité, elles peuvent connaître une infinité de déclinaisons.


 

Les collectivités territoriales sont de plus en plus nombreuses à avoir saisi la valeur d’un château d’eau autre qu’une colonne de béton gris. Fresques peintes ou projetées à la lumière la nuit, même les cheminées de refroidissement des centrales électriques ont été conquises par ces formes d’inspiration, parfois par l’initiative sauvage de street artists, d’autres fois par des commandes publiques. Certaines de ces tours ont fini par devenir des monuments emblématiques de l’identité locale, comme les Orlando Towers, tours de refroidissement de l’ancienne centrale électrique du township de Soweto, en Afrique du Sud.


    Une éolienne colorée imaginée par un artiste ©. Tim Marsh,



 

Pour les éoliennes aussi, il est possible d’imaginer des équipements qui respecteront ce que les habitants du coin reconnaîtront comme beau, en les impliquant dans les choix esthétiques. Une éolienne qui rend hommage à la culture locale ou aux préférences de la population sera mieux perçue… Art figuratif ou contemporain, référence à une tradition locale ou à l’histoire nationale, à des personnages réels ou fictifs, à la musique, au sport… il y a l’embarras du choix.

 

Sortir de la blancheur ?

Comme pour beaucoup de normes, la blancheur des éoliennes, ou le gris clair, selon les cas, est soutenue par des arguments techniques présentés sur le mode de l’évidence. Mais comme dans beaucoup de cas aussi, ces arguments ont en réalité des dimensions contradictoires.


Le château d’eau d’Étoile-sur-Rhône. Villaret Cédric (Aerodrone Alpes), Mural-studio.fr, Author provided


 

La blancheur présenterait ainsi l’avantage de pouvoir à la fois trancher suffisamment avec le décor pour être visible des créatures et engins volants, et être plus plaisante esthétiquement car fondue dans le paysage. Autrement dit, le blanc offre une sécurité en détonnant dans le paysage, mais ce n’est pas forcément la couleur qui assure le mieux cette mission. Comprenez aussi : on postule qu’il s’agit de la teinte la plus consensuelle… or nous voyons ici que ce point de vue n’est plus d’actualité.

Autre argument mobilisé : en renvoyant la lumière, le blanc permet de limiter le réchauffement et, donc, la dégradation de l’engin et de son revêtement. Si cet argument justifie d’éviter l’usage uniforme de couleurs sombres dans les zones les plus ensoleillées, il n’interdit pas toute créativité.

Une réglementation à faire évoluer

Cependant, la réglementation française sur le sujet restreint fortement les possibilités et il n’est pas exclu, justement, que ce soit la peur d’une créativité sans limites qui ait poussé l’exécutif à se montrer restrictif.

Car somme toute, imposer le blanc ou le gris clair uniformes, comme le fait l’arrêté du 23 avril 2018 relatif aux obstacles à la navigation aérienne, est sans doute la façon la plus facile d’éviter des initiatives irréfléchies de créer des risques et d’entraîner des démantèlements. Donner plus de possibilités visuelles impliquerait un travail de définition approfondi et détaillé des critères de sécurité à respecter, et cette complexité a pu dissuader l’exécutif de se lancer.

Si ce choix de simplicité se justifiait pleinement à la fin des années 2000, il est temps aujourd’hui d’ouvrir les possibles. Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires pourrait engager des discussions collectives avec les acteurs concernés pour déterminer des normes permettant au développement des EnR de prendre en compte les préférences visuelles locales.

 

Écrit par

Alessio Motta

© visuel : Aero Art

Cet article est publié sous licence Creative Commons et en partenariat avec theconcversation.com