L’essor de l’intelligence artificielle semble aujourd’hui vouloir tout engloutir — y compris l’électricité du monde. Le think tank Le Shift Project dévoile dans une étude l’ampleur du défi : d’ici 2030, l’IA pourrait absorber jusqu’à 35 % de l’énergie des centres de données, multipliant d’autant leur empreinte carbone. Il est temps de légiférer malin, de bâtir intelligemment et d’utiliser l’IA avec sobriété. C’est ça le progrès…
Par Florence Berthier
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Dans son rapport synthèse baptisé : Intelligence artificielle, données, capacités de calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ? Oui c’est un peu long mais très clair, Le Shift Project provoque un réveil : la consommation électrique des centres de données, dont les IA sont le moteur, a crû de 165 TWh en 2014 à 420 TWh en 2024 ( plus que la consommation électrique de l’Italie sur une année ) — avant même d’intégrer les cryptomonnaies. Cette tendance s’est accélérée : +13 % par an contre +7 % sur 2014-2019. Si rien ne change d’ici 2030, les centres pourraient consommer jusqu’à 1 500 TWh/an — soit +2,8 fois en sept ans — et l’IA représenterait plus du tiers de cette activité. Côté émissions, la facture est tout aussi salée : la filière des centres de données pourrait à elle seule générer jusqu’à 920 MtCO₂/an, soit deux fois les émissions annuelles de la France. “ Ce qui m'interpelle c’est l'explosivité de l'augmentation de la demande en énergie de la filière centre de données, causée en grande majorité par l'IA générative. Mais surtout le manque de concertation publique sur ce que cela représente d'un point de vue des arbitrages sur l'affectation de l'électricité pour les autres secteurs.” explique Alexandre Theve, co-auteur du rapport et Responsable Green IT chez Davidson un groupe de conseil expert en réseaux, transformation digitale et industrie.
En Europe, le risque est aigu : dans certaines régions, les centres de données consomment déjà plus de 20 % de l’électricité disponible — dépassant les usages résidentiels. Pire, ces consommations ne sont pas correctement intégrées aux scénarios énergétiques nationaux français, un aveuglement stratégique alors même que le pays s’est engagé dans une planification écologique stricte. Voilà pour le topo.
Retrouvez la synthèse de l’étude ici
Légiférer ou légiférer ? Pas besoin de poser la question
Face à ce constat, Le Shift Project appelle à une législation ferme et transparente. La première étape consiste à instaurer une trajectoire-plafond de consommation pour les centres de données, définie par la loi, assortie de paliers annuels contraignants. Le rapport insiste aussi sur l’obligation de transparence : chaque opérateur devrait publier sa consommation et son empreinte carbone, permettant un suivi public et la possibilité de sanctionner les excès. Pour la France, ce suivi représenterait une avancée décisive, car la planification énergétique nationale ne prend pas en compte la croissance fulgurante de l’IA. À défaut de régulation, l’Hexagone risque de voir ses objectifs climatiques laminés par l’essor non encadré du numérique.
Mais légiférer ne suffit pas : encore faut-il transformer la manière dont l’IA est conçue et utilisée. “ Une concertation nationale sous forme de convention citoyenne sur la place de l'IA dans la société serait déjà un premier pas responsable. Plus de transparence de la part des acteurs comme les centres de données, les constructeurs de hardware et les fournisseurs de services d'IA). Et sans oublier une trajectoire cible définie pour la décarbonation de la filière centre de données pour 2050, avec un bouclage systémique avec les autres secteurs.” précise A.Theve.
Pas d’IA sobre, pas de chocolat
Le Shift plaide pour des modèles frugaux, optimisés, débarrassés des fonctionnalités superflues et évalués selon un « budget carbone de référence ». Toute IA incapable de s’insérer dans ce budget devrait être abandonnée. Autrement dit : pas d’IA par défaut, mais une IA raisonnée, ciblée sur les usages utiles et compatibles avec les contraintes climatiques. En parallèle, il faut former ingénieurs et décideurs à cette culture de la sobriété numérique, instaurer des instances de gouvernance associant citoyens et pouvoirs publics, et prévoir la réversibilité des projets non durables.
Pour la France, qui mise sur l’IA comme levier de compétitivité et de souveraineté, la question n’est plus de savoir « si » légiférer, mais « comment » mettre ce frein intelligent avant que la technologie n’épuise l’énergie nationale. “ Nous appelons à la planification de la transition du secteur via l’intégration de la filière centres de données et du secteur numérique dans la stratégie Bas Carbone 3. Cela passe par le recensement des centres de données et de la mesure de leur consommation. Et surtout respecter la directive européenne EED ( Efficacité Énergétique ).” explique Pauline Denis chargée de projet Numérique ,The Shift Project lors de la présentation au Conservatoire des Arts et Métiers. Et comme expliqué lors de la présentation, il était temps que la France et son industrie aient un document de référence sur le sujet. Cette première cartographie permettra de penser une Intelligence Artificielle qui n’a pas vocation à devenir un boulet énergétique pour l’humanité.