Le monde de la finance doit se réinventer. Oui, mais comment ? Avec son Parcours Monde Financier, la CEC a boosté 67 entreprises de la finance pour sortir de l’économie prédatrice, extractive, avec pour objectif une finance régénérative. Goodd était présent lors de la dernière session pour prendre le pouls des professionnels de la finance qui se disent transformés tout en gardant les pieds bien sur Terre pour mieux la changer…
Par Florence Berthier
ODD N°13 : mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
La finance est-elle le parpaing du cynisme ? L’argent est-il véritablement un ennemi ? Ou bien cette filière peut-elle être une source de profits autres que sonnants et trébuchants. Et dépasser ainsi son objectif premier, le pur et simple enrichissement, en déployant une finance à visée régénérative et systémique « pour la remettre au service du vivant », explique Virginie Vitiello de CDC. Tandis qu’Audrey Lambry, Erwann le Ligué et Wilfried Piskula, d’Eurazeo insistent : « Il est urgent de dépasser la dimension climatique pour adopter une vision systémique ».
Plutôt contre-intuitif comme postulat. Et pourtant la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) avec son Parcours Monde Financier, démontre que l’intention n’est pas aussi simpliste. A la manœuvre Guillaume Hublot, alumni et dirigeant de KMH for Life, Eric Duverger et Astrid Pelletier, une autre alumni. « Sans la finance et ses outils, nous n’avons aucune chance », confirme Bertrand Badré, fondateur de Blue like an Orange et parrain de ce Parcours « elle est essentielle pour se mettre dans la position de réaliser quelque chose de grand, de financer les transitions écologiques et d’avoir un impact sur le changement climatique. Car à la fois prescriptrice et catalyseur auprès des entreprises et des épargnants, elle est un accélérateur de la mobilisation des investissements dans des modèles plus durables ».
Compter et investir autrement
A juste titre, puisque ce parcours financé à 100% par des dons et mené entre octobre 2023 et juin 2024, s’est présenté comme une opportunité voire une nécessité à plusieurs dizaines d’entreprises. « Tant mieux », se réjouit Bertrand Badré « car le monde de la finance ne bouge pas encore assez. Or on ne laisse pas son costume de citoyen au pas de la porte quand on entre dans son entreprise. Il faut prendre les choses à la racine et non à la marge pour inventer la valeur et sa mesure à l’aune de la nature et de l’humain ».
Le parcours a donc réuni 67 acteurs issus des banques, des assurances, des sociétés de gestion, des Family offices, des conseils et services financiers, des institutions publiques, des influenceurs… représentant 800 mds d’euros d’actifs sous gestion et 700 000 collaborateurs. Un rayon d’impact prometteur car comme le remarquent Stéphanie Dubois Dewynter et Arnaud le Gall de Cofidis : « La bonne nouvelle c’est qu’en faisant partie du problème, nous pouvons aussi faire partie de la solution ». « Et ouvrir une nouvelle perspective », comme le promet Stéphane Vromman, Tudigo.
67 entreprises, soit 195 participants lors de 5 sessions
Le collectif constitué de 134 dirigeants, de 22 étudiants (challengers nécessaires en tant que futurs décisionnaires) et de 39 contributeurs (scientifiques, chercheurs, experts…) s’est réuni lors de 5 sessions de 10 jours au fil des mois.
L’occasion à l’aide de cartes mentales, d’ateliers, de tables rondes, de conférences, de réseautage… de poser les constats, les prises de conscience, de remettre à plat son modèle d’affaires, de déterminer des feuilles de route avec cette variable régénérative et systémique pour se projeter vers un nouveau cap durable, individuel, ou encore plus ambitieux, établir des coopérations avec ses écosystèmes. Et ainsi agir maintenant et bâtir concrètement un futur désirable et pas seulement l’imaginer. « Sans la CEC qui nous a sorti du cadre traditionnel, et nous a poussé à prendre du temps pour l’entreprise mais hors de l’entreprise, il n’y aurait pas eu de remise en cause, d’approche d’angles différents, de nouvelles sources d’inspiration, d’échanges entre génération, d’envie d’action », souligne le collectif.
Car, en effet transformer les pratiques de son métier passe bien par une transformation des individus et c’est ce qu’a permis ce parcours Monde Financier qui a instauré une pédagogie baptisée « Tête, Cœur, Corps » : « Il nous a fait vivre un ascenseur émotionnel », explique Anne Genot et Vincent Duraffour de Picture Asset Management « Nous sommes ressortis fatigués, déçus parfois, perdus, en colère ou désœuvrés. Mais nous nous sommes aussi sentis revigorés, inspirés, rêveurs, ambitieux, actifs et audacieux. C’est en passant par les émotions les plus contraignantes que l’on apprécie celles qui nous portent ».
Des sursauts qui n’ont pas empêché d’être dans le concret car l’important n’est pas tant la feuille que la route. « J’ai identifié 3 principaux leviers complémentaires », explique Marc Wormser de la Banque Wormser Frères : « travailler avec les clients déjà engagés et les faire participer avec les bénéficiaires des fonds pour que progressivement, on puisse faire basculer les indécis. Puis chercher, par une offre innovante, de nouveaux clients déjà convaincus. Enfin, inclure de plus en plus automatiquement nos choix de gestion durable, contributive et régénératrice pour en faire la norme ».
80% des feuilles de route rendues publiques…
Les 67 entreprises ont toutes débouché sur des projets concrets et 80% d’entre elles ont publié leur feuille de route dans un rapport, lors de la cérémonie de clôture baptisée très symboliquement, L’Envol. Parmi elles, la MGEN veut arrêter d’être sur une promesse seulement de soins et se concentrer sur la prévention et être dans la frugalité au risque de perdre certains sociétaires.
Cofidis va insister sur l’utilité ou non d’un crédit à la consommation en guidant les clients. Elle s’est fixée pour 2035, que 30% de son activité soient en lien avec la transition bas Carbone en développant par exemple la mobilité douce (vélo et paiement en plusieurs fois). Et en renonçant à participer à des appels d'offres sur des activités néfastes pour l’environnement.
De son côté, Arkéa Capital précise le sens de son métier (capital investisseur) autour de 2 valeurs : exigence et bienveillance. D’abord en comptant différemment, en réfléchissant en termes d’évaluation globale et pas seulement financière. Puis en investissant différemment en étant un accompagnateur financier extra territorial.
… 4 projets coopératifs au-delà des relations humaines
Partant du principe que l’union fait la force et qu’un acteur seul ne peut pas aussi bien bouger, transformer un modèle et dynamiser cette fameuse bascule de l’extractif vers le régénératif d’ici à 2030, plusieurs entreprises se sont découvertes des synergies. « Grâce au parcours CEC, nous avons compris que nous n’y arriverons pas seuls, nous devons travailler en « coopétition » avec nos anciens concurrents pour qu’ils deviennent des ambassadeurs », précisent Juliens Lescs et Brune Ribadeau Dumas de Kimpa. 4 projets ont ainsi émergé :
Primo, une Alliance des investisseurs pour le vivant et lui permettre d’être de plus en plus au cœur des décisions du monde de la finance. Ce qui se traduit par la création d’un observatoire, d’une cartographie de tous les outils, de forums de dialogues entre les entreprises et les acteurs pour accompagner la réorientation des acteurs privés et adresser les enjeux.
Secundo, la diffusion et l’amélioration de l’Impact Score où 5000 entreprises sont référencées. C’est un outil de jonction du comité et qui sera intégré à tous les futurs Parcours de la CEC.
Tertio, une Amicale de la revalorisation régénérative avec une cartographie pour créer une seule valeur et harmoniser la co-construction des méthodes. Mais aussi avec la création d’un groupe de travail au sein du hub pour déployer les outils et être une force de proposition pour tous les actifs cotés ou non cotés.
Quatro, un manifeste pour une finance régénérative contributive du respect des limites planétaires. Ou comment changer les règles du jeu pour briser l’inaction et épauler la transition des entreprises pionnières. En allant donc au-devant du gouvernement pour modifier les lois ou règlements, et en soumettant des propositions concrètes et pragmatiques. « La démarche est déjà soutenue activement par une vingtaine d’acteurs majeurs de la finance (Banque de France, AMF…), et nous avons enregistré une soixantaine de signataires. Mais ce n’est pas assez pour avoir un impact de poids auprès du gouvernement. On a besoin de vous face à ce défi », insiste le collectif.
La bascule de l’économie extractive vers l’économie régénérative dans le monde de la finance n’est pas encore une lame de fond mais elle est loin d’être une simple goutte d’eau dans l’océan. Un Parcours qui devrait d’ailleurs connaître une deuxième édition.
« Ce Parcours Monde Financier et ses initiatives déjà opérationnelles, montre bien qu’on n'est pas là pour parler d’une mode mais pour être sérieux, innover et imaginer un monde nouveau », conclut Laurent Felix d’Ekimetrics, président des Alumnis de la CEC « Le coup d’après, en tant qu’Alumnis, surtout quand on est entre pairs, c’est de faire basculer sa filière, d’aller voir les corps intermédiaires ». Et d’essaimer.
Florence Berthier
© Visuel Justin Veenema
Découvrez le manifeste pour une finance régénérative