Vous connaissez Sailcoop ? non ? Et bien maintenant c’est le cas ! Cette compagnie de transport maritime a décidé de repenser le transport de passagers avec une flotte composée uniquement de voiliers. Leur raison d’être est de décarboner, repenser le voyage et (re)démocratiser un mode de transport séculaire… Précisions avec Maxime de Rostolan, un des co-fondateurs de la coopérative.
Par Eric Espinosa
ODD N°14 : vie aquatique
goodd : Comment définissez-vous Sailcoop et quelle est son origine ?
Maxime de Rostolan : notre coopérative est née pour ré-enchanter le voyage, en proposant de remettre au goût du jour le transport à la voile. Pour proposer une alternative décarbonée et émerveillante à l’avion et aux ferries, en 2022, nous avons ouvert notre première ligne régulière, entre le continent et la Corse. En 3 saisons, ce sont plus de 2500 personnes qui ont ainsi déjà fait l’expérience. En 2023 et 2024, nous avons conçu, financé grâce à nos sociétaires et fait construire un catamaran de 80 places, très vélique, avec lequel nous avons ouvert l’été dernier la ligne Concarneau - Les Glénan. Cette ligne a embarqué 8000 personnes rien que sur le mois d’août ! Il y a un engouement indéniable !
goodd : Vous fonctionnez comme une coopérative avec des sociétaires ? Comment cela fonctionne et quelle est la promesse ?
MaximedR : l’idée est d’ouvrir ce projet le plus possible à des citoyens qui, conscients de l’importance d’inventer de nouvelles manières d’habiter notre monde, ont envie de participer à une aventure qui s’engage en ce sens. Mais aussi à des collectivités qui, pour préparer le monde d’après, souhaitent investir dans des alternatives aux modèles existants.
En devenant sociétaire (dès 10€), les personnes physiques ou morales qui rejoignent l’aventure participent à la gouvernance de la coopérative, et peuvent ainsi exprimer leur avis sur les différents arbitrages, être forces de proposition pour esquisser une feuille de route désirable. Lorsque la coopérative fera des bénéfices, les parts sociales pourront donner lieu à une rémunération, mais ce n’est évidemment pas la motivation principale pour devenir sociétaire.
goodd : vous commencez à avoir une flotte de bateaux qui s’étoffe. A quoi ressemble-t-elle ?
MaximedR : il existe 3 types de liaisons sur lesquelles nous comptons embarquer des passagers : les courtes, les moyennes, et les longues distances. Et pour chacune nous imaginons des bateaux spécifiques !
Pour les moyennes distances, comme la Corse, qu’on relie en 15 à 18h, nous opérons pour l’instant deux monocoques de 50 pieds, tout confort, sur lesquels voyagent 8 passagers (pour 2 skippers). Ce sont des voiliers mis à disposition par leurs propriétaires, qui ne les utilisent qu’occasionnellement.
D’ici un an ou deux, nous devrions lancer la conception de voiliers de plus grande capacité, pour optimiser la rentabilité, et être moins impacté par la météo (aujourd’hui, nous annulons lorsqu’il y a trop de vent, cela concerne en moyenne 15% des traversées)
Pour les courtes-distances, nous avons donc conçu un catamaran de 80 passagers, très léger, rapide, et confortable. Dans la perspective d’ouvrir une nouvelle ligne en Bretagne, nous venons d’en commander un second au chantier naval car nous croyons beaucoup à son potentiel.
Pour les longues distances, enfin, nous avons vendu une transatlantique, en 2022, et embarqué 6 passagers sur un monocoque. C’était une tentative très excitante, mais l’expérience est somme toute assez sportive sur ce type de bateaux, une vraie aventure ! Nous envisageons d’ici quelques années la construction de paquebots à voile de très grande capacité (200 passagers) qui relieront les USA ou l’Amérique du Sud. D’ici là, nous allons commercialiser les cabines passagers de voiliers-cargos qui sont sur le point de débuter leur activité.
“ Gaspard Koenig, qui a voyagé cet été avec nous, a partagé son sentiment dans une tribune récemment en comparant l’expérience à celle des diligences ”
goodd: quelles sont vos ambitions pour la décennie à venir ?
MaximedR : notre idée est de déployer, partout où cela sera possible, cette offre de transport à voile. Proposer des navettes sur les liaisons côtières, pour relier les îles proches du continent, comme nous l’avons fait aux Glénan. Mais aussi, comme dit plus haut, développer de nouveaux voiliers, adaptés respectivement aux moyennes et longues distances.
L’équilibre économique qui se dessine nous permet de voir loin ! Pour enclencher notre feuille de route nous comptons muscler l’équipe, et lançons d’ailleurs dans cette optique une levée de fonds participative (voir en bas de l’article ) qui devrait nous permettre d’initier les différents chantiers que nous avons en tête.
goodd : la décarbonation est au cœur de la raison d’être de Sailcoop. Depuis votre création cela donne quoi ?
MaximedR : même si notre promesse est de naviguer à la voile, nous sommes évidemment dépendants du temps, et vous imaginez bien que lorsqu’il n’y a pas de vent, nous mettons tout de même le moteur ! Nous sommes un service de transport et devons être en mesure d’assurer aux passagers qu’ils arriveront le jour prévu à destination.
Alors, bien sûr, nous suivons au réel nos consommations de gasoil, pour savoir quel est l’impact de notre activité, en comparaison à l’avion et au ferry (pour la Corse) ou aux vedettes (pour les Glénan). Aujourd’hui et c’était notre vision, nous émettons 10 fois moins de CO2 par passager que ces moyens de transport habituels. Nous parlons de “décarbonation radicale”, de 80 à 90%. C’est une victoire !
goodd : comment les passagers de vos bateaux doivent-ils vivre les traversées ? Comme une expérience ou un simple transport maritime ?
MaximedR : c’est un gros enjeu en effet de se positionner au plus juste, et nous n’avons pas encore la réponse universelle à cette question ! Il est clair que la traversée à bord d’un de nos deux voiliers pour (ou depuis) la Corse n’a rien à voir avec celle d’un gros ferry de 2500 personnes. Les passagers sont au contact direct de l’eau, beaucoup moins haut, souvent accompagnés par des dauphins, salués par des baleines…et généralement aux premières loges des couchers et levers de soleil. Gaspard Koenig, qui a voyagé cet été avec nous, a partagé son sentiment dans une tribune récemment en comparant l’expérience à celle des diligences : elle conjugue le déplacement dans l’espace et une sorte de huis-clos ‘embarqué’, de quelques heures, en communauté. A la différence que chacun dispose d’un petit coin à lui, puisqu’il y a 5 cabines doubles sur nos voiliers.
Sur notre catamaran, il y a moins de différences qu’avec une vedette : en termes de taille de bateau, de temps de traversée, c’est assez similaire. Cela se distingue surtout, finalement, par le silence offert par la propulsion à la force du vent, sachant que dès qu’il y a un peu de vent (13 nœuds), nous arrivons même à aller plus vite que les navettes à moteur !
Convaincus de la pertinence d’offrir une alternative aux vedettes à moteur qui desservent, dans le monde entier, les îles côtières, Sailcoop a décidé de développer sa propre navette à voiles, spécialement conçue pour des liaisons de quelques milles. C’est le fameux Chantier de l’Arsenal, situé à la Rochelle qui va donner vie à ce nouveau catamaran.
goodd: le secteur maritime, transport et pêche inclus, représente 3% des émissions de gaz à effet de serre. La décarbonation est inévitable oui mais comment s’y prendre pour le transport de fret et de personnes ? L’intégralité de la flotte mondiale doit-elle être équipée de voiles ?
MaximedR : déjà, comme pour tous les secteurs d’activité humaine, il faut ra-len-tir, diminuer les flux de personnes et de marchandises. C’est la base.
Dans une société plus sobre, on pourrait en effet imaginer qu’un grand nombre de mouvements de biens et de personnes, à travers mers, océans, grands lacs et mêmes fleuves, puissent se faire en partie grâce au vent ! C’est une énergie disponible, facile à capter, avec des voiles traditionnelles, ou de nouvelles techniques avec des voiles rigides par exemple, pour les gros cargos.
Imaginez, si, au lieu de voir la compétition mondiale des meilleurs voiliers se faire sur des F1 des mers, qui volent de par leur légèreté, taillés pour emmener un intrépide aux Antilles en 5 jours, on assistait plutôt à une course à l’efficacité utile ?
A savoir quel pays arrivera à emmener le plus vite le plus de gens possibles, sans énergie fossile, d’un point à un autre.
La France a tout pour devenir leader dans les voiliers-paquebots, comme elle est en train de le faire avec les cargos-voiliers. Et en plus, pour le coup, ils ne seront pas-que-beaux nos voiliers, on pourra aussi monter dessus. ‘
Propos recueillis par Eric Espinosa
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